: Vrai ou faux Marine Le Pen n'a-t-elle vraiment jamais voulu quitter l'Otan, comme l'assure Jean-Philippe Tanguy ?
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"Nous entrons dans une nouvelle ère", a déclaré Emmanuel Macron, lors de son allocution télévisée, mercredi 5 mars, quelques jours après que Donald Trump a décidé de geler l'aide des Etats-Unis à l'Ukraine. Depuis son retour à la Maison Blanche, le président américain rebat les cartes de l'ordre mondial en place depuis 1945 et une question se pose désormais : l'alliance avec les Etats-Unis au sein de l'Otan est-elle compromise ? Marine Le Pen, présidente du groupe Rassemblement national (RN) à l'Assemblée, a estimé le 1er mars sur BFMTV que les Etats-Unis restent "nos alliés". Selon elle, dire le contraire n'est pas "raisonnable". Et d'ironiser : "Ceux qui disent ça s'apprêtent à quoi ? Sortir de l'Otan ?"
Ses propos ont vivement fait réagir le journaliste Jean Quatremer. "Rappelons que le RN voulait sortir de l'Otan par anti-américanisme et russophilie", a-t-il pointé sur X. Des membres du RN ont vite défendu leur cheffe de file. "Marine Le Pen n'a jamais voulu sortir de l'Otan, mais du commandement intégré. Elle est fidèle à la doctrine gaullienne", a précisé le député Jean-Philippe Tanguy. Alors, qui dit vrai sur la volonté de l'ex-candidate à la présidentielle de quitter l'Otan ?
Pas de sortie de l'Otan dans ses programmes
Pour répondre à cette question, franceinfo s'est plongé dans les différents programmes et déclarations de Marine Le Pen au sujet de l'Alliance atlantique. Lors de la dernière élection présidentielle, en 2022, le programme (PDF) de la candidate du RN mentionne bien une sortie du commandement intégré de l'Otan et pas de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord en elle-même. "Je souhaite que notre pays (...) prenne la mesure de ses responsabilités et opte pour une politique des mains libres. Cela suppose que la France se retire du commandement intégré de l'Otan", peut-on lire.
Cette position était déjà la même cinq ans plus tôt, dans son programme pour la présidentielle 2017 (PDF) : "Quitter le commandement intégré de l'Otan pour que la France ne soit pas entraînée dans des guerres qui ne sont pas les siennes". Selon elle, le commandement intégré oblige la France à s'impliquer dans des conflits. "Si ça [La France membre du commandement intégré] avait existé, on aurait été obligés d'aller faire la guerre en Irak et Chirac n'aurait pas pu dire non. Je ne veux pas forcer nos soldats à aller faire des guerres que nous n'aurions pas décidées", avait-elle déclaré à l'époque.
En 2012, lors de sa première campagne pour l'Elysée, la députée RN du Pas-de-Calais était moins claire sur ce sujet. "Je vais assurer l'indépendance diplomatique et restaurer la puissance militaire de la France (...) La France retrouvera son indépendance et sortira de la tutelle des Etats-Unis", était-il écrit son programme (PDF), mais sans préciser comment la France sortirait de cette tutelle. Comme l'a affirmé Jean-Philippe Tanguy, la cheffe de file du RN n'a donc jamais déclaré vouloir quitter l'Otan, mais bel et bien son commandement intégré.
Perdre en influence, mais continuer d'être membre
Le commandement intégré est la structure de commandement militaire de l'Otan. "Elle offre à tous les alliés la possibilité de participer et de contribuer au commandement et au contrôle de l'ensemble des opérations, missions et activités de l'alliance dans tous les domaines militaires", précise l'organisation (PDF).
Quitter cette structure reviendrait à ne plus participer à certaines décisions. "Avant de lancer une opération de l'Otan, il faut tout un cheminement de négociations et de réunions. Si la France le quitte, elle n'y participera plus", explique à franceinfo Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l'Institut français de géopolitique (IFG), spécialisé dans la défense et la sécurité. "Cela ne veut pas dire qu'elle quitte l'alliance pour autant. Son avis sera toujours nécessaire pour lancer une opération et elle est toujours soumise aux obligations de l'article 5 [le principe de solidarité envers un Etat membre agressé], par exemple", détaille le chercheur.
En 1966, le général de Gaulle avait annoncé la sortie de la France de ce commandement intégré. "C'était une décision en trompe-l'œil", commente Jean-Sylvestre Mongrenier. "Nous n'y étions plus, mais en 1999, la France a participé à une opération de l'Otan au Kosovo par exemple", souligne Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut relations internationales et stratégiques (Iris). Et après des années de négociations, la France a réintégré la structure de commandement en 2009 sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Les alliés ne sont jamais obligés de participer à un conflit
Par ailleurs, contrairement à ce que sous-entend Marine Le Pen, être membre du commandement intégré n'oblige pas l'armée française à s'impliquer dans des "guerres que nous n'aurions pas décidées". "L'alliance fonctionne par le consensus. Si un pays est en désaccord, l'opération n'a pas lieu", assure Jean-Pierre Maulny.
L'article 5, relatif à la défense collective, n'engage pas non plus forcément les alliés dans un conflit armé. S'il établit qu'une attaque armée contre un membre de l'alliance est "une attaque contre toutes les parties", il n'impose pas de conflit armé. "L'invocation de l'article 5 permet aux alliés de fournir toute l'assistance qu'ils jugeraient nécessaire d'apporter, quelle qu'en soit la forme, pour répondre à une situation donnée", précise le texte. "Cela peut être des armes, des soldats, mais aussi une aide économique", détaille Jean-Pierre Maulny.
Concrètement, Marine Le Pen se trompe donc quand elle assure que la France "aurait été obligée d'aller faire la guerre en Irak" en 2003. Par ailleurs, l'Allemagne, membre du commandement intégré de l'Otan, avait aussi refusé d'y participer et l'opération lancée à l'époque ne s'est pas faite sous l'égide de l'Alliance atlantique.
S'il est donc tout à fait possible de quitter ce commandement intégré tout en continuant d'être membre de l'Otan et de participer aux décisions finales, en sortir complètement serait une mauvaise idée, selon les spécialistes interrogés. "En la quittant pendant quarante ans, on y a perdu beaucoup en pouvoir et en influence", juge Jean-Sylvestre Mongrenier. "Aujourd'hui, les Etats-Unis se mettent en marge de l'Alliance atlantique, c'est le moment de reprendre la main sur l'outil pour prendre le contrôle de l'Otan", estime pour sa part Jean-Pierre Maulny.
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