Vrai ou faux Le loup sinistre, éteint il y a plus de 10 000 ans, a-t-il vraiment fait son retour grâce à des chercheurs ?

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un succédané de "canis dirus", à l'âge de 5 mois, développé par l'entreprise américaine Colossal Biosciences. (COLOSSAL BIOSCIENCES)
Un succédané de "canis dirus", à l'âge de 5 mois, développé par l'entreprise américaine Colossal Biosciences. (COLOSSAL BIOSCIENCES)
L'entreprise américaine Colossal Biosciences, spécialisée en "désextinction", affirme être parvenue à faire revenir pour la première fois une espèce disparue. En réalité, les trois louveteaux nés de cette manipulation ne possèdent qu'une goutte du patrimoine génétique du "canis dirus".

Abracadabra. Des scientifiques affirment avoir ramené à la vie une espèce de loups disparue il y a plus de 10 000 ans, grâce au concours de la génétique. L'entreprise américaine Colossal Biosciences, fondée en 2021, explique être parvenue à réaliser la première "désextinction" du monde, celle du "loup sinistre" (canis dirus). Le magazine Time a consacré sa une, dévoilée lundi 7 avril sur X, à cette annonce stupéfiante, avec la photo d'un spécimen au pelage fourni, qui fixe l'objectif. Trois louveteaux sont nés à l'automne dernier et cet hiver : Romulus, Remus – âgés de 6 mois environ – et leur jeune sœur Khaleesi, âgée de 2 mois.

Ils sont entourés de dix soigneurs, selon l'entreprise basée à Austin, au Texas, et vivent dans une réserve sécurisée de plus de 800 hectares. "Ce moment marque non seulement une étape importante pour notre entreprise, mais également un bond en avant pour la science, la conservation et l'humanité", claironne la start-up sur X, lundi 7 avril. La firme a par ailleurs mis en ligne sur le réseau social une courte vidéo des deux premiers louveteaux, les montrant hurlant, jouant et grandissant, durant leurs cinq premiers mois de vie. Une fois adultes, ces individus pourraient mesurer 1,60 m et peser près de 60 kg. De quoi refroidir les ardeurs de n'importe quel loup actuel.

L'entreprise Colossal Biosciences a diffusé des images de succédanés de loups sinistres développés par ses soins, ici âgés d'un mois et demi. (COLOSSAL BIOSCIENCES)
L'entreprise Colossal Biosciences a diffusé des images de succédanés de loups sinistres développés par ses soins, ici âgés d'un mois et demi. (COLOSSAL BIOSCIENCES)

Avant de tenter de réveiller les meutes ancestrales, les scientifiques ont d'abord exploité deux échantillons contenant de l'ADN exploitable – une dent vieille de 13 000 ans et un crâne vieux de 72 000 ans – avant de les séquencer, puis d'assembler ces génomes. Ils ont ainsi pu identifier certains caractères très spécifiques, comme leur fourrure blanche, longue et épaisse. L'équipe de Colossal Biosciences a ensuite comparé cet ADN à celui de loups gris, les parents actuels les plus proches, à l'aide d'un logiciel de son cru, ce qui a permis de localiser des informations génétiques intéressantes, comme celle codant la taille de l'animal.

Ils ont alors utilisé des techniques d'ingénierie génétique, avec des ciseaux Crispr, pour couper l'ADN de loup gris à certains endroits et y placer l'information génétique de loups sinistres. Les chercheurs ont effectué au total une vingtaine de modifications pour adapter au mieux l'un et l'autre – 15 concernent l'ADN du loup sinistre et cinq le loup gris – sur 14 gènes au total. Ce qui a suffi à produire des effets significatifs, selon Time, qui évoque notamment des "épaules plus puissantes", des "pattes plus musclées" et des "vocalisations spécifiques".

Loup sinistre, y es-tu ?

Les noyaux contenant l'ADN modifié ont ensuite été insérés dans des ovules de chiennes dont l'ADN avait été retiré. Quarante-cinq embryons ont été placés dans des mères porteuses, dans un premier temps, et deux ont atteint leur terme. Romulus et Remus sont nés le 1er octobre, de deux naissances distinctes. "Il faut appeler un chat un chat. Et là, ce sont des OGM de loup gris", sourit Nadir Alvarez, directeur du Naturéum à Lausanne (Suisse) et coauteur de Faire revivre des espèces disparues ?. Le généticien, également biologiste de l'évolution, insiste sur le faible nombre de modifications engagées, alors que les canidés possèdent autour de 19 000 gènes.

Difficile, dans ces conditions, de considérer que l'espèce éteinte est réellement de retour. Par exemple, "ce n'est pas parce que 20 nucléotides ont été modifiés que ce loup se mettra à attaquer des proies plus grandes", comme le loup sinistre en son temps. "Cela n'enlève rien à la prouesse technologique d'avoir sélectionné des gènes et des sites qui entraînent des changements de morphologie importants." Colossal Biosciences n'a pas précisé le détail des gènes modifiés. Il est donc impossible de savoir si d'autres traits que la morphologie ont été pris en compte, notamment écologiques ou comportementaux. 

Un projet aux buts difficiles à saisir

Ces animaux ressemblent donc à des loups anciens, mais ils n'en possèdent qu'une goutte de patrimoine génétique, de quoi relativiser quelque peu les communications enflammées de nombreux médias anglophones sur le retour du loup géant. Colossal Biosciences est une habituée des coups d'éclat. Début mars, elle avait dévoilé sur X des spécimens de souris laineuses, censées prouver sa capacité "à recréer des combinaisons génétiques complexes". Et pourquoi pas envisager, un jour, le retour des mammouths. Colossal Biosciences affirme également travailler sur d'autres espèces comme le dodo, un volatile disparu au XVIIe siècle, ou le thylacine, un mammifère carnivore éteint depuis les années 1930.

"La marche paraît extraordinairement haute", commente Nadir Alvarez. Dans le cas du mammouth, il faut compter une vingtaine de mois pour la gestation et les ovocytes potentiels des éléphants d'Asie ne permettent pas des expériences à l'infini". Les parents actuels du dodo et du thylacine paraissent trop éloignés pour envisager un retour. Quant à la souris à poil long, aussi mignonne qu'éloignée du mammouth, "il s'agissait ni plus ni moins d'une souris modifiée, c'est-à-dire d'une souris OGM". Mais pour le chercheur, ces annonces représentent surtout "un grand danger" pour la protection d'espèces actuelles.

"On laisse entendre que l'humain est tellement doué et puissant qu'il peut 'déséteindre' des espèces, et donc qu'il aurait moins besoin de se soucier de la biodiversité existante."

Nadir Alvarez, directeur du Naturéum

à franceinfo

Les images de ces loups survitaminés n'en restent pas moins fascinantes. Elles invoquent un bestiaire plébiscité dans le secteur du divertissement, du jeu vidéo World of Warcraft à la série télévisée Games of Thrones – il n'est pas surprenant, d'ailleurs, de retrouver l'auteur de la saga de fantasy, le romancier américain George R.R. Martin, parmi les mécènes de l'entreprise, qui enchaîne les levées de fonds et dont la valeur est désormais évaluée à plus de 10 milliards de dollars. Par le passé, plusieurs autres personnalités hollywoodiennes ont déjà délié leur bourse, dont le réalisateur du Seigneur des anneaux, Peter Jackson, révélait Bloomberg à l'automne. Mais il faudra encore beaucoup de manipulations pour réveiller des dragons.

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