: Vrai ou faux La France aurait-elle dû arrêter Benyamin Nétanyahou lorsqu'il a survolé la France pour se rendre aux Etats-Unis ?
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La France a-t-elle oublié ses obligations vis-à-vis de la Cour pénale internationale (CPI) ? "En route vers Washington, [Benyamin] Nétanyahou aurait survolé l'espace aérien français. Sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale pour crime contre l'humanité, il aurait dû être intercepté et arrêté", a dénoncé la vice-présidente de l'Assemblée nationale et députée insoumise, Clémence Guetté, sur X, mardi 8 avril. "La France est légalement tenue de coopérer pleinement aux enquêtes et aux poursuites de la CPI", a-t-elle ajouté, accusant l'Hexagone de se rendre "complice" des crimes du Premier ministre israélien.
Dans la journée du 6 avril, "un aéronef d'Etat transportant le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a survolé (...) l'espace aérien français dans le cadre de son voyage officiel à Washington et ce, dans le plein respect des droits et obligations de la France en vertu du droit international", ont confirmé des sources diplomatiques à franceinfo. Autrement dit, l'appareil a bien obtenu l'autorisation de pénétrer l'espace aérien français.
"La France aurait dû refuser le passage"
Comme nous l'avons vérifié sur le site spécialisé Flight Radar 24, le Boeing 737 israélien dédié au transport du président et du Premier ministre israéliens, immatriculé 4X-ISR, a décollé de Budapest (Hongrie) et traversé les espaces aériens croate, italien et français avant de rejoindre Washington. Il n'a en revanche pas survolé les Pays-Bas, l'Irlande ou encore l'Islande. Selon The Times of Israel, Benyamin Nétanyahou a rallongé son trajet de 400 kilomètres afin d'éviter de survoler des pays susceptibles de respecter le mandat d'arrêt international, en cas d'atterrissage d'urgence.
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Le lendemain du vol, l'association des Juristes pour le respect du droit international (Jurdi) a adressé un courrier au président de la République dénonçant le non-respect de la France de ses engagements internationaux. "La France est en effet soumise à l'obligation de coopérer pleinement avec la Cour pénale internationale dans ses enquêtes et poursuites (art. 27 et 86 du Statut de Rome), ce qui implique de devoir arrêter toute personne visée par un mandat d'arrêt présente sur son territoire, y compris aérien", assure-t-elle. En ne procédant pas à l'arrestation de Benyamin Nétanyahou, la France a "violé gravement ses obligations juridiques internationales en sa qualité d'Etat partie au Statut de Rome et lié par les décisions de la Cour pénale internationale", estime l'association.
Selon l'article 27 du traité, "la qualité officielle de chef d'Etat ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un Parlement, de représentant élu ou d'agent d'un Etat, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut". Tandis que l'article 86 fixe une obligation générale de coopération : "Les Etats parties coopèrent pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu'elle mène pour les crimes relevant de sa compétence."
Depuis 1998, la France est signataire du Statut de Rome, traité fondateur de la Cour pénale internationale dont l'objectif est de juger les crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis dans plusieurs pays dans les années 1990. "La France aurait dû, à mon sens, refuser le passage de Benyamin Nétanyahou. En ne le faisant pas, elle porte atteinte à son obligation au vu du Statut de Rome, abonde Alexandre Nicolae, avocat au barreau de Paris, spécialiste en justice pénale internationale. La décision française est une décision plus politique que juridique."
Une "immunité" invoquée par le Quai d'Orsay
Depuis novembre 2024, Benyamin Nétanyahou est visé par un mandat d'arrêt de la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité à Gaza. La France, comme tous les Etats signataires du traité fondateur de la CPI, est donc théoriquement tenue de l'arrêter s'il entre sur son territoire. Toutefois, le ministère des Affaires étrangères français avait estimé dans un communiqué qu'une "immunité" pouvait s'appliquer dans "les Etats non parties à la CPI". ce qui est le cas d'Israël.
"De telles immunités s'appliquent au Premier ministre Nétanyahou et aux autres ministres concernés et devront être prises en considération si la CPI devait nous demander leur arrestation et remise", a invoqué le Quai d'Orsay, rappelant par ailleurs "l'amitié historique qui lie la France à Israël". Depuis que le mandat d'arrêt a été prononcé, le Premier ministre israélien a déjà survolé la France en février.
Pour Benjamin Fiorini, maître de conférences en droit pénal et secrétaire général de l'association Jurdi, cette immunité n'est toutefois pas valable du fait d'une jurisprudence récente. "La CPI elle-même a déjà eu à trancher cette question, lors de la visite de Vladimir Poutine [qui fait lui aussi l'objet d'un mandat d'arrêt international] en Mongolie", rappelle le juriste. Le 24 octobre 2024, la CPI a estimé dans un communiqué que la Mongolie, signataire du Statut de Rome, avait failli à ses obligations de coopération avec la Cour en n'arrêtant pas le président russe, bien qu'il soit le dirigeant d'un pays non signataire. "En vertu de l'article 86 du Statut de Rome, tous les Etats parties doivent coopérer pleinement avec la Cour pour soutenir son mandat", a-t-elle rappelé.
Une juridiction soumise à "un jeu d'équilibriste"
"Il y a un deux poids, deux mesures. Quand la Mongolie n'a pas respecté ses obligations, la France s'en est émue et a apporté son soutien à la CPI", relève Benjamin Fiorini. Interrogée en septembre au sujet de la Mongolie, la diplomatie française avait en effet répondu qu'elle continuerait "d'apporter son appui à l'indispensable travail de la justice internationale pour assurer que les responsables de tous les crimes commis par la Russie en Ukraine rendent des comptes".
"Il faut souligner que la France ne devrait pas avoir vocation à être une voie rapide pour les criminels de guerre."
Benjamin Fiorini, maître de conférences en droit pénalà franceinfo
Ce n'est pas la première fois que la CPI peine à faire respecter les engagements de pays signataires. Ne disposant pas de sa propre force de police, elle dépend du bon vouloir des Etats concernant l'exécution des mandats d'arrêt qu'elle publie. L'ex-président soudanais, Omar el-Béchir, visé par deux mandats d'arrêts internationaux en 2009 et 2010 pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis au Darfour, a ainsi continué de voyager dans une dizaine de pays sans être inquiété. La Jordanie et l'Afrique du Sud, épinglées par la CPI en 2017 pour non-coopération, avaient invoqué l'argument de l'immunité présidentielle d'Omar el-Béchir, qui était alors encore un chef d'Etat en exercice. A ce jour, le président déchu en avril 2019 n'a jamais été extradé et purge une peine de prison au Soudan.
"La CPI est soumise à un jeu d'équilibriste commun à toute organisation internationale qui doit assurer d'une part l'exécution de son texte fondateur, et d'autre part sa légitimité politique, estime l'avocat Alexandre Nicolae. Il y a un risque que cette juridiction perde en crédibilité si elle entame une procédure [contre la France pour non-coopération] et que celle-ci ne mène à rien. Mais elle risque également de perdre en légitimité si elle ne fait rien, anticipe-t-il. La CPI, c'est le fruit d'un optimisme de fin de guerre froide, une façon de penser que l'ordre établi à la fin de ce conflit allait perdurer pour toujours. Là, on voit que le système est en train de se fracturer."
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