Enquête Viols dans un lycée de Châlons-en-Champagne : le recteur avait été alerté de la dangerosité d'un professeur deux ans avant les premières plaintes

Article rédigé par franceinfo - Claire Checcaglini
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Olivier Brandouy, alors recteur de l’académie de Reims le 13 juin 2022. (REMI WAFFLART / MAXPPP)
Olivier Brandouy, alors recteur de l’académie de Reims le 13 juin 2022. (REMI WAFFLART / MAXPPP)
Le rapport de l'Inspection générale de l'éducation (IGéSR) pointe "un manque généralisé de discernement" dans l'affaire du lycée Bayen. Le cabinet du recteur a été informé en juillet 2021 que des élèves accusaient un enseignant de faits répréhensibles.

La commission d'enquête parlementaire sur les violences en milieu scolaire s’est rendue dans les locaux du lycée Bayen de Châlons-en-Champagne mardi 22 avril. La députée Violette Spillebout (Ensemble pour la République) et son collègue insoumis, Paul Vannier ont rencontré la lanceuse d'alerte et des représentants de parents d'élèves de la FCPE.

Au moins trois ex-lycéens, victimes présumées d’un enseignant de l’établissement, vont porter plainte contre l'Etat, comme l'annonçait la cellule investigation de Radio France le 11 avril dernier. Pascal Vey, qui s’est suicidé, était accusé de viols, d'agressions sexuelles et de harcèlement moral et sexuel. Il a enseigné le français et les arts du cirque jusqu’en septembre 2023, bien que dénoncé dès l'été 2021 par un collectif baptisé Balance ton cirque.

Les députés Paul Vannier et Violette Spillebout avec la lanceuse d’alerte et les représentants de parents d'élèves de la FCPE le 22 avril 2025 au lycée Bayen. (CLAIRE CHECCAGLINI / RADIO FRANCE)
Les députés Paul Vannier et Violette Spillebout avec la lanceuse d’alerte et les représentants de parents d'élèves de la FCPE le 22 avril 2025 au lycée Bayen. (CLAIRE CHECCAGLINI / RADIO FRANCE)

Alerte lancée le 8 juillet 2021 et transmise au cabinet du recteur

La cellule investigation a pu consulter le rapport de l'IGéSR (inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche) et l'extrait d'une plainte en préparation. Documents qui mettent en cause toute la hiérarchie de l'académie, de l’ancienne proviseure à l’ex-recteur, Olivier Brandouy. Celui-ci a été nommé directeur adjoint au cabinet de Gabriel Attal au ministère de l’Education nationale, quelques semaines avant que l’affaire n’éclate.

Le 8 juillet 2021, le cabinet du recteur de Reims reçoit un mail indiquant que Pascal Vey a été dénoncé par des élèves pour des faits répréhensibles. Six jours avant l’envoi de ce courrier, le collectif Balance ton cirque a fait état d’un "prédateur sexuel" au CNAC (centre national des arts du cirque) sans le citer. Or, Pascal Vey y intervient régulièrement. Une journaliste écrit alors à la proviseure, Sabine Bonnet, pour lui révéler le nom de l’enseignant visé, comme nous l’apprend le rapport de l’IGéSR.

Pas de réaction de l’académie

Le jour même, la responsable du lycée Bayen fait remonter l’information à son directeur académique, au supérieur de celui-ci, à savoir Olivier Brandouy et au service communication du rectorat. La proviseure se focalise sur l’impact que pourraient avoir de telles dénonciations sur les réseaux sociaux.

Le numéro un de l’académie ne donne pas suite. Les échanges entre la cheffe d’établissement et son directeur académique se limitent aux modalités de réponse à donner à la presse, et "le comportement de l'enseignant n'est pas questionné", note le rapport de l'Inspection générale de l'éducation.

Courrier du Centre National des Arts du Cirque daté du 23 septembre 2021

Deux mois et demi plus tard, le Centre National des Arts du Cirque avertit par écrit Sabine Bonnet que le CNAC a décidé de mettre fin à sa collaboration avec Pascal Vey. En cause : des signalements effectués par des étudiants et des personnels de l’institution. La cheffe d’établissement du lycée répond le jour même et choisit de mettre en valeur l’investissement de l’enseignant.

Auditionnée par la police, une fois les premières plaintes déposées en 2023, la directrice du CNAC expliquera avoir été choquée de l’inaction de la proviseure. "Elle m’a dit : 'Je n’interviens pas dans [votre établissement], vous n’intervenez pas dans le [mien]. Il n’y a aucun fait", relate-t-elle.

Extraits du profil Facebook de Pascal Vey. (DR)
Extraits du profil Facebook de Pascal Vey. (DR)

Des inspectrices académiques devenues "chevalier" et "commandeur" des palmes académiques en août 2024

Des faits vont pourtant être rapportés au fil des mois, en premier lieu par la professeure de sport, Marie-Pierre Jacquard, mais aussi dans une moindre mesure par l’infirmier scolaire. Cette fois, la proviseure choisit de ne plus en faire part au cabinet du recteur.

S'instaure une sorte de triumvirat, entre la cheffe d'établissement et deux inspectrices académiques qui conduira à ce que "l'administration [se trompe] en se focalisant sur la lanceuse d'alerte allant jusqu'à prendre une décision collective de ne pas la recevoir", pointe le rapport de l'IGéSR qui poursuit : "l'ensemble de ces défaillances ont conduit à ce que le cabinet du recteur se soit laissé induire en erreur par la proviseure et les inspectrices". Ces deux dernières seront pourtant à l'été 2024 faites commandeur, pour l'une, et officier des palmes académiques pour l'autre.

Des distinctions qui interrogent au regard du rapport de l'IGéSR, pour qui des signaux enregistrés depuis 2021 constituaient bien un "faisceau d’indices suffisants pour déclencher une action de l’administration". Rapport qui conclut à "un manque généralisé de discernement".

"Des faits mal caractérisés" selon le recteur

Au printemps 2023, enfin les premiers témoignages sont transmis à la justice et au rectorat. Olivier Brandouy note alors qu'"[ils] sont difficiles à interpréter et [...] les faits mal caractérisés". Radio France s’est procuré ces signalements. En voici quelques extraits : "Après une représentation, j’ai senti [Pascal Vey] poser sa main sur mes fesses, j'ai cru à un accident, puis il l'a refait ainsi qu’à d'autres amies. Nous avions honte et peur".

Cet homme est dangereux, il a traumatisé certains garçons par son harcèlement sexuel et certaines filles par son harcèlement moral.

Témoignage d'une victime de Pascal Vey

à la cellule investigation de Radio France

Quelques semaines plus tard, Olivier Brandouy devient directeur adjoint au cabinet de Gabriel Attal au ministère de l'Education nationale, poste qu'il conservera sous Nicole Belloubet et Amélie Oudéa-Castéra. Devant la police, Sabine Bonnet affirmera fin 2023 : "Je n’ai jamais eu connaissance de faits délictuels concernant Pascal Vey". Contactés, Sabine Bonnet et Olivier Brandouy n’ont pas répondu aux questions de la cellule investigation.

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