: Reportage "Nous avons été attaqués plus de 16 fois en un an" : plongée dans un hôpital ukrainien souterrain, à quelques kilomètres du front
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L'entrée est dissimulée dans un village aux bâtisses détruites par les frappes russes. On y pénètre de nuit. De jour, notre véhicule blindé serait une cible facile pour les drones. Les explosions, qui résonnent toutes les 20 minutes environ, nous le rappellent. Six mètres sous terre, nous entrons dans un lieu digne d'un film d'espionnage : un hôpital de campagne aux équipements ultra-sophistiqués. Son adresse, sur le front ukrainien, doit rester secrète.
Roman, officier de l'armée ukrainienne, nous sert de guide dans les boyaux de cette structure. "L'hôpital est divisé en deux zones, explique-t-il. D'un côté, la zone rouge pour les cas les plus critiques, de l'autre, la zone verte, pour les cas moins graves." Dans les salles, les appareils sont flambant neufs, le matériel impeccable. Les logos de certains investisseurs qui ont permis la construction du lieu sont inscrits en gros sur les portes d'entrée. "Nous sommes aux standards des pays de l'Otan, commente Roman, comme dans ces deux salles d'opération. Ici, c'est un lieu de stabilisation des patients, avant de pouvoir les envoyer dans un hôpital d'une grande ville."
Une construction souterraine après de nombreuses attaques
Ce tunnel est aussi un lieu de vie pour les équipes médicales. Dans une salle sombre, un chirurgien et deux soignants boivent un café, une infirmière joue à un jeu vidéo. Les murs sont faits de larges rondins de bois, ils rendent le lieu plus chaleureux. Les personnels médicaux ne semblent pas perturbés par les impacts d'obus et les explosions juste à l'extérieur. Certains font trembler les murs. "Au départ, notre hôpital était à l'extérieur, raconte Roman, mais il a été attaqué plus de 16 fois en un an. Nous avons donc décidé de le construire sous terre."
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Aujourd'hui, il existe vingt-cinq structures de ce type en Ukraine, dissimulées dans plusieurs villages stratégiques, le long de la ligne de front. "Nous pouvons résister à un drone kamikaze ou à une roquette, mais pas aux missiles", précise Roman. Les équipes doivent donc traquer la menace en permanence. Un escalier mène à une salle de contrôle confidentielle, enterrée un peu plus profondément. Nous ne sommes pas autorisés à photographier les écrans qui permettent de visualiser l'espace aérien. On y voit une quinzaine de drones russes : certains sont utilisés pour repérer les positions ukrainiennes, d'autres sont de type Shahed, chargés d'explosifs.
L'hôpital est une cible recherchée activement par les Russes. "Pour eux, hôpital ou position d'artillerie dans les tranchées, tout cela, ce sont des cibles à atteindre. Ils n'ont aucun respect pour la convention de Genève qui fixe les règles d'engagement militaire", déplore l'officier ukrainien.
Alerte nocturne
Vers 1 heure du matin, les infirmiers et brancardiers décident d'aller se reposer. Ils s'allongent sur les minces matelas de leurs lits superposés. Certains se changent les idées en faisant défiler des vidéos sur les réseaux sociaux – ce souterrain est connecté au réseau Starlink – pendant que d'autres ronflent bruyamment. Leur sommeil est régulièrement interrompu par les aboiements de la colonie de chiots adoptée par l'équipe.
Cette nuit-là, leur repos sera de courte durée. A 3 heures du matin, le soldat chargé des communications réveille les soignants un à un : trois militaires ont été blessés sur le front, leur convoi doit arriver quelques minutes plus tard. Un 4x4 surgit sans tarder. La plate-forme arrière s'ouvre. On découvre deux soldats allongés. L'un d'entre eux a une jambe désarticulée. Son treillis est maculé de sang, ses jambes, bardées de garrots.
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Immédiatement, les équipes administrent les premiers secours. "Aide-moi à le mettre sur le brancard ! lance un soignant. Il a une fracture ouverte, il perd beaucoup de sang." En quelques minutes, la pièce où le personnel buvait un thé est devenue une salle de réanimation. Eugène, médecin urgentiste, apporte une pompe mécanique pour pratiquer un massage cardiaque. Les infirmiers installent une perfusion. L'un des urgentistes fixe l'écran de contrôle, le cœur du soldat peine à repartir. Ils sont sept soignants à essayer d'évaluer l'ampleur de ses blessures."Il a été touché par un drone kamikaze, nous explique Eugène, l'un de ses camarades est mort sur le coup. Un autre est indemne physiquement, mais traumatisé psychologiquement, pas sûr qu'il reparte un jour au combat."
"C'est fini"
Dans l'embrasure de la porte, les frères d'armes du jeune homme scrutent l'équipe médicale qui s'affaire. Leur regard est grave, ils sont nerveux, mais continuent d'y croire. Un urgentiste découpe le treillis du blessé pour mesurer la taille des plaies. Un autre réalise une échographie. Cette dernière révèle des blessures multiples. "C'est impossible, il est polytraumatisé, décrypte Eugène, sa colonne vertébrale est coupée en deux. Il a perdu trop de sang." Après 40 minutes de lutte acharnée, les soignants quittent un à un le chevet du blessé. Seule une infirmière reste à ses côtés. Le verdict tombe : "c'est fini", lâche Eugène.
Tatiana, une infirmière, ne parvient pas à retenir ses larmes. En un an d'existence, c'est la première fois que cet hôpital perd un patient. Un des soldats de l'unité du défunt se prend la tête entre les mains. Un autre tire nerveusement sur sa cigarette électronique. Les gradés, eux, sortent leurs téléphones. Ils doivent communiquer l'information à leur hiérarchie.
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Ils n'auront que quelques minutes pour se recueillir. Il s'agit un hôpital, pas d'une morgue.
Le corps est emballé dans un linceul blanc, puis chargé à l'arrière du 4x4 militaire par les membres de son unité. Le visage fermé, les yeux fixés au sol, ces soldats quittent l'hôpital souterrain. Dès la sortie du tunnel, ils seront à nouveau exposés aux drones russes qui bourdonnent au-dessus du front.
Retrouvez l’intégralité du reportage sur la vidéo ci-dessus (attention, certaines images peuvent heurter)
Parmi nos sources :
- Armée ukrainienne
Liste non exhaustive
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