Reportage
"Je serais stupide de ne pas m'inquiéter" : rencontre avec des habitants israéliens du "village le plus proche de Gaza"

Le moshav de Netiv HaAsara est situé juste en face du mur qui sépare Gaza d'Israël. Ici, 20 habitants ont été tués par le Hamas le 7 octobre 2023. Mais ceux qui restent comptent bien continuer à vivre dans ce village malgré les risques pour leur sécurité.
Article rédigé par Valentin Dunate, Jérémy Tuil
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Un soldat israélien positionné dans le moshav de Netiv HaAsara (Israël), près de la frontière avec la bande de Gaza, le 17 novembre 2023. (RONALDO SCHEMIDT / AFP)
Un soldat israélien positionné dans le moshav de Netiv HaAsara (Israël), près de la frontière avec la bande de Gaza, le 17 novembre 2023. (RONALDO SCHEMIDT / AFP)

Il y a les mots, ceux de Donald Trump, qui propose de déplacer les près de deux millions de Gazaouis pour en faire une Riviera, et la réalité : pour l'instant, ces déclarations n'altèrent en rien le fait que depuis une semaine, les Palestiniens du nord de la bande de Gaza peuvent rentrer chez eux sans contrôles. Ce sont les conséquences de la première phase de l'accord sur le cessez-le-feu. Direction donc la frontière israélo-palestinienne pour tenter de comprendre le point de vue de ceux qui vivent juste en face de ce mur qui sépare Gaza d'Israël.

Netiv HaAsara n'est pas un kibboutz mais un moshav, un village en partie communautaire. 20 personnes ont été tuées ici le 7 octobre 2023. Ce qui frappe d'entrée, c'est la sensation d'être dans un village bucolique. Il y a des palmiers, des jolies petites routes goudronnées et juste en face, un mur immense et des terres arides. "C'est le village le plus proche de Gaza, raconte Hila Fenlon, agricultrice. Personne ne vit aussi près de Gaza, on ressent tout de manière plus intense, et d'ailleurs le 7-Octobre, quand les terroristes sont arrivés, nous avons été les premiers envahis."

Dans ce village, avant le 7-Octobre, les habitants entendaient les combattants du Hamas s'entraîner. Jusqu'au cessez-le-feu, de l'autre côté du mur, le nord de Gaza a été pilonné par l'armée israélienne, les habitants évacués, avant de pouvoir revenir sans être contrôlés depuis une semaine, ce qui évidemment inquiète cette femme désormais armée. "Je serais stupide de ne pas m'inquiéter, lance Hila Fenlon. Le Hamas n'a pas changé sa façon de façon de faire. Le Hamas, c'est le Hamas ! Maintenant, ce que je souhaite c'est que mon gouvernement et mon armée soient plus forts."

"Il y a des gens, à 100 mètres de là où nous sommes, qui feront n'importe quoi pour tenter de me tuer et moi je dois tout faire pour que ça n'arrive pas."

Hila Fenlon, habitante israélienne près de la bande de Gaza

à franceinfo

"On entend des tirs, décrit cette femme quand on lui demande soudain ce qu'on entend. Il y a une zone tampon que les gens ne sont pas autorisés à franchir. Si ce sont des Israéliens qui tirent, ils sont en train de leur demander de reculer. Je ne l'avais pas entendu avant que vous ne m'en parliez." Hila Fenlon, qui repart avec son gros pick-up blanc, est tellement habituée au son des armes à feu qu'elle ne les entend plus, comme si elles faisaient partie du paysage.

Depuis le 7 octobre 2023, les habitants qui vivent juste en face de Gaza ont tiré des leçons. La principale, c'est qu'ils ne peuvent pas compter uniquement sur l'armée, qui a été défaillante. Alors la "kitat konenut", groupe de défense du village qui assure la liaison avec l'armée et la défense civile, explique avoir haussé son niveau de vigilance, surtout depuis que les Palestiniens peuvent remonter vers le nord. "Je peux vous dire qu'on a plus de moyens, plus de volontaires, plus d'armes, plus de tout, observe Eran, un volontaire, dans la salle de sécurité du moshav. Donc oui, nous devons augmenter notre travail. On est meilleurs dans tout : avec les armes que l'armée nous donne, celles qu'on obtient nous-mêmes, les munitions, l'entraînement, les équipements, les dons... C'est un tout."

Un octogénaire avec un Glock 9 mm à la taille

Dans ce moshav qui comptait près de 1 000 habitants avant le 7-Octobre. Il en reste 300 désormais prêts à ne pas reculer, à rester en face des habitants de Gaza. Il est beaucoup question d'armes et de sécurité, et la paix n'est franchement pas un mot que nous avons entendu. Mais il y a peut-être une autre leçon que tire un "vieux sage du village", un sage qui porte malgré tout un Glock 9 mm à la taille et que l'on rencontre chez lui. Nitzan a 83 ans, parle français, c'est un ancien lieutenant-colonel de l'armée israélienne.

"Notre grande erreur est que nous n'avons pas appris la langue arabe, nous n'avons pas appris l'islam."

Nitzan, ancien lieutenant-colonel de l'armée israélienne

à franceinfo

"Quand tu viens en France, il faut que tu apprennes la langue française, tu dois connaître le peuple français. Estime-t-il que les Israéliens devraient davantage apprendre de l'autre ? "Exactement, répond-il. Il y a une très grande différence : quand tu apprends sa langue, tu parles avec lui avec sa langue, tu l'invites chez toi à la maison, tu commences déjà à avoir des relations personnelles avec ton ennemi... Il deviendra en fin de compte ton ami, mais quand tu le détestes, quand tu l'abaisses, quand tu crois qu'il est bête, là commence le problème. Ça dépend de toi !"

Au plus proche de la bande de Gaza, on est donc loin, très loin d'estimer que la solution proposée par Donald Trump est viable et pertinente à la fois pour eux, Israéliens, et pour les Palestiniens, de l'autre côté du mur.

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