Pourquoi France Télévisions a-t-elle décidé de parler d'actualité aux enfants ?
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Pourquoi parler d'actualité aux enfants ? N'est-ce pas leur retirer leur enfance en les exposant trop tôt au stress du moment ? Carole Bélingard dirige les offres d'information jeunesse de France Télévisions, dont "Mission Info", disponible sur franceinfo, Okoo et France 4. Elle nous explique, dans le cadre de notre rubrique "Transparence", pourquoi et comment France Télévisions a fait le choix de l'info pour les enfants.
Franceinfo : Ne pourrait-on pas laisser les enfants être des enfants ? Est-il raisonnable de confronter les enfants à l'actualité parfois angoissante ?
Carole Bélingard : C'est complètement raisonnable ! C'est même tellement raisonnable que nos confrères européens, nos collègues belges de la RTBF, de la BBC au Royaume-Uni, ou de la ZDF en Allemagne [radios et télévisions publiques dans chacun de ces pays] le font depuis dix ou vingt ans. Nous, nous sommes un petit peu en retard. Les enfants sont en contact avec l'actualité d'une manière ou d'une autre : la télévision ou la radio est allumée à la maison, ils ont des grands frères ou des grandes sœurs qui ont des téléphones, qui vont même sur les réseaux sociaux et peuvent leur parler de ce qu'ils y voient.
"Les enfants entendent le bruit du monde, ils ne sont pas dans une bulle ! Notre parti-pris est de les accompagner, car aujourd'hui, les enfants sont souvent seuls face à cela."
Carole BélingardRédactrice en chef de "Mission Info"
Les enfants entendent parler de la guerre en Ukraine ou de ce qu'il se passe à Gaza. Notre volonté est donc de les accompagner pour comprendre. Parce qu'expliquer et décrypter permet de rationaliser, et d'une certaine manière de rassurer.
Alors, évidemment, nous avons fait attention quand nous avons parlé de la guerre en Ukraine ou le conflit entre Israël et le Hamas : nous n'avons pas montré d'images violentes qui puissent heurter. Dans ces cas-là, nous nous appuyons beaucoup sur des cartes et sur des animations. Nous nous adressons à des enfants qui ont entre 7 et 11 ans. Ils ne sont pas en mesure d'encaisser des images violentes. Nous sommes là pour les préserver.
Les présentateurs font parfois de petites blagues. Selon les sujets, cela ne risque-t-il pas d’être décalé ?
Nous pesons chacun de nos mots. Mais même quand la thématique n'est pas facile, nous pouvons nous permettre de faire quelques blagues légères. Dans le cas de notre émission sur l'Ukraine, par exemple, nous nous sommes autorisés une plaisanterie au moment d'expliquer ce qu'est l'Union européenne. Nous expliquons que c'est un ensemble de pays, qui a notamment un hymne commun. Et là, avant de lancer L'Hymne à la joie, nous avons passé un petit extrait du morceau Bande organisée. Ce genre de petit clin d'œil n'altère pas le propos, mais permet de garder les enfants avec nous et, justement, d'enlever ce côté anxiogène.
Mais parfois, cela ne s'y prête pas du tout et nous ne faisons pas de blagues. Mais sur le ton, nous leur parlons de ces sujets comme dans une conversation. Nous n'employons pas le ton grave, qui peut être celui, parfois, des journalistes des JT.
Comment vous assurez-vous que les enfants comprennent le propos ?
Nous sommes en contact avec beaucoup d'écoles pour nous assurer que les enfants comprennent ce que nous allons leur expliquer. Pour le numéro que nous avons consacré à la guerre entre Israël et le Hamas, par exemple, nous avons appelé plusieurs enseignants. Nous leur avons à la fois expliqué ce que nous voulions faire, mais aussi demandé comment ils entendaient leurs élèves en parler. Cela nous a permis d'avoir une idée de ce que nous pouvions raconter, jusqu'où nous pouvions aller.
"Dans chaque émission, nous avons toujours une classe témoin qui intervient. Les enfants interviennent d'ailleurs parfois à titre de témoins, mais parfois aussi d'experts [quand le sujet les concerne directement]."
Carole BélingardRédactrice en chef de "Mission Info"
Nous nous apercevons qu'ils connaissent beaucoup de choses à leur niveau. Notre lien avec eux est indispensable. Nous sommes en discussion permanente avec de nombreux enseignants et beaucoup de classes.
Pourquoi ne garder au montage que les témoignages d'enfants qui ont compris le sujet évoqué ?
Parce que nous avons envie de mettre en valeur ces enfants experts. Mais nous nous nourrissons aussi de ceux qui n'ont pas compris, mais qui posent des questions. Nous essayons de nous inscrire dans une démarche pas trop verticale, mais il y a des moments où on ne peut pas faire autrement.
Dans le numéro sur la trêve à Gaza, comme dans celui sur l'Ukraine, vous évoquez des thèmes complexes. Comment adaptez-vous votre langage ?
Nous nous relisons beaucoup. "Mission Info" est une construction collective. Nous nous interrogeons toujours les uns les autres : tel mot n'est-il pas trop compliqué ? Cette notion n'est-elle pas trop difficile ? Il est vrai que parfois, nous nous rendons compte que nous n'avons pas été aussi clairs que ce que nous l'aurions voulu. Je me suis par exemple rendu compte en revisionnant notre émission sur l'Ukraine d'une complication qui ne m'avait pas sauté aux yeux initialement. A un moment, nous parlons de l'Union Européenne et, immédiatement après, de l'OTAN. Je pense que c'est trop compliqué d'aborder ces deux notions-là de manière successive.
"Nous apprenons, nous aussi ! Il faut être très humble. Nous nous questionnons beaucoup et n'avons pas la prétention d'avoir tout compris à la manière parfaite de s'adresser aux enfants."
Carole BélingardRédactrice en chef de Mission Info
Les enfants n'ont en outre pas tous le même bagage. Entre un enfant de CE2 et un enfant de CM2, ou entre deux enfants de deux milieux sociaux différents, énormément de facteurs font que certains ont plus de connaissances que d'autres. Notre objectif n'est pas de nous adresser aux plus experts, mais de nous adresser à tous. Nous devons faire attention de ne pas tomber dans ce piège-là, même si nous utilisons parfois un langage plus compliqué que nous le souhaiterions. C'est passionnant, cela bouscule nos certitudes de journalistes formés à s'adresser aux adultes. Cela amène beaucoup d'humilité !
À quoi sert le quiz à la fin du programme ?
Le quiz est important pour cette tranche d'âge. Il permet de valider les connaissances, donc c'est à la fois ludique et pédagogique. Avant de nous lancer, nous nous sommes beaucoup préparés. Nous avons rencontré nos confrères européens, et notamment nos voisins belges qui produisent "Les Niouzz", le JT pour enfants, qui fête ses 25 ans cette année.
Nous avons aussi été accompagnés par une étude qualitative [étude fondée sur des questions ouvertes à des groupes de spectateurs]. Nous voulions savoir ce qui pouvait intéresser les enfants de cet âge-là : leur niveau de compréhension, la place du ludique, la place des présentateurs. Est-ce qu'il faut une personne, plusieurs personnes ? Cette étape préparatoire nous a permis d'écarter beaucoup de choses.
"Au début, nous envisagions de faire un JT pour enfants. Mais l'idée d'un présentateur derrière un plateau, habillé de manière classique, paraît très froide pour les enfants. Nos études ont montré que notre cible rejetait plutôt cette forme-là".
Carole BélingardRédactrice en chef de "Mission Info"
Ils préfèrent que nous abordions un seul sujet et que nous le creusions. Il y avait aussi un rejet de la forme talk-show, où des adultes discutent entre eux de thèmes d'actualité. Ils ne se sentent pas concernés.
Nous nous rendons compte que les enfants, à cet âge-là, même s'ils ne sont pas censés être sur les réseaux sociaux, les connaissent très bien via les grands frères ou les grandes sœurs. Ils sont imprégnés par certaines narrations, notamment celles de YouTube. Nous nous adressons donc directement à eux de manière détendue : ce sont leurs codes, ils ont besoin de respirations.
Et puis, nous ne sommes pas des enseignants, et ce n'est pas le milieu scolaire. Sur Okoo, par exemple, "Mission Info" est diffusée entre leurs dessins animés. Là, nous leur ouvrons une autre fenêtre, nous leur disons : "Attendez, pause. Pendant 10-12 minutes, nous allons vous apprendre quelque chose." Mais nous avons besoin d'entourer cela de ces éléments ludiques, de couleurs, de rythme.
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