Nouvelle donne politique en Allemagne après les élections législatives

Elles ont été remportées par les conservateurs de la CDU mais marquées par un score historique pour l'extrême droite AfD et le plus mauvais résultat des sociaux démocrates depuis l'après-guerre.
Article rédigé par Nicolas Teillard, Sébastien Baer
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Le chef de la droite allemande, Friedrich Merz, probable futur chancelier allemand après la victoire du CDU/CSU aux législatives allemandes, le 23 février 2025. (ODD ANDERSEN / AFP)
Le chef de la droite allemande, Friedrich Merz, probable futur chancelier allemand après la victoire du CDU/CSU aux législatives allemandes, le 23 février 2025. (ODD ANDERSEN / AFP)

"Nous avons gagné ces élections législatives 2025", s'est réjoui dimanche 23 février le futur chancelier Friedrich Merz, 69 ans, dont le nom revenait en boucle sur les plateaux de télévision. Merz enfin en pleine lumière car le candidat de la CDU-CSU a très longtemps vécu dans l'ombre d'Angela Merkel, au point même de s'éloigner un temps de la politique. Une longue quête donc pour devenir chancelier. 

Car au départ, Friedrich Merz était en effet loin de faire l'unanimité. Certains le jugent hautain, arrogant, un peu loin des gens. Alors, pendant la campagne, il a tenté de gommer cette image. On l'a vu notamment se mettre en scène, bière à la main, à l'heure du petit déjeuner, ou alors attablé dans un McDonald's avec un burger devant lui, à quelques heures d'un débat avec Olaf Scholz.

On peut dire aussi qu'il revient de loin parce que longtemps, l'ancienne chancelière Angela Merkel lui a barré la route. Elle l'a écarté du poste très stratégique de président du Parti conservateur, ce qu'il a très mal vécu. Il s'était reconverti dans la finance, devenant même avocat d'affaires pendant une bonne dizaine d'années avant de revenir en politique au moment où Angela Merkel a commencé à prendre un peu de distance. Sa silhouette est assez impressionnante, celle d’un marathonien, 1,98 m sous la toise. Et c'est un orateur aussi à la fois redouté et redoutable. 

Former un gouvernement avant Pâques

Friedrich Mertz a promis d'aller vite. Il voudrait former un gouvernement avant Pâques, ce qui est un peu un défi, une gageure ici en Allemagne, quand on connaît la durée, souvent sur plusieurs semaines ou plusieurs mois, même pour former une coalition. À titre d'exemple, en 2021, Olaf Sholz avait eu besoin de deux mois et deux semaines pour former son alliance avec trois partis et en 2017, six mois avaient été nécessaires pour faire aboutir les négociations entre Angela Merkel et les sociaux démocrates.

Mais avec qui s’allier ? Forcément, Le SPD, le parti social démocrate du chancelier sortant, Olaf Scholz, qui a pourtant connu une débâcle historique. Avec 16,4%, c'est le pire score du SPD depuis l'après-guerre. L'avenir du Parti social démocrate va d’ailleurs sans doute s'écrire sans Olaf Scholz désormais. C’est effectivement, l'alliance la plus "naturelle". Le cas s'est déjà produit à quatre reprises dans la vie politique allemande, c'est une alliance qui a déjà été éprouvée, on appelle ça ici la "grande coalition". Largement battus, Les Verts, quant à eux, ne seront sans doute plus au gouvernement et les libéraux n'auront même plus de députés au Bundestag. 

Un Allemand sur cinq a voté pour l'extrême droite

L'autre fait marquant de ces législatives, c'est le score historique de l'extrême droite AfD. Un Allemand sur cinq a voté pour l'extrême droite dimanche. L'AfD a doublé son score en seulement trois ans, alors que la participation a été massive, plus de 80%.  Elon Musk a apporté son soutien à la cheffe de file de l'AfD, Alice Waidel, pendant la campagne.  Et il est frappant en observant la carte électorale allemande de constater que les succès de l'AfD correspondent aux territoires de l'ex-Allemagne de l'Est. Il faut mesurer le séisme que représente ce résultat dans un pays qui a construit sa culture politique moderne sur une expression : "Plus jamais ça après le nazisme". 

Certains gardent toutefois l'espoir de faire barrage à l'extrême droite. À Berlin et à Munich, il y a eu des manifestations qui ont rassemblé plusieurs centaines de milliers de personnes après le vote commun à la fin du mois de janvier entre la droite de Friedrich Merz et l'extrême droite sur un texte sur l'immigration. La vague de protestation a véritablement été énorme, tout comme en janvier l'année dernière, quand il y a eu ces révélations du média Correctiv sur une réunion secrète dédiée à la remigration de l'AfD. Mais c'est indéniable, la progression de l'AfD est spectaculaire, plus de 20% des voix pour un jeune parti fondé en 2013. Pour l'heure, toutefois, l'AfD reste marginalisée. Tous les partis ont exclu de gouverner avec elle. 

L'AfD "premier parti d'opposition, ça veut dire des droits particuliers"

L'AfD devient tout de même le premier parti d'opposition et ça pourrait changer les choses, selon la spécialiste de la politique allemande, Claire Demesmay.  "Premier parti d'opposition, ça veut dire des droits particuliers, note la politologue. Ça veut dire du temps de parole supplémentaire, ça veut dire la présidence de commissions parlementaires qui ont un rôle clé à jouer. Et c'est aussi une influence dans l'opinion publique, une mise à l'agenda des thèmes d'extrême droite. Et ça, l'Allemagne n'y était absolument pas habituée". 

Dimanche soir s'est tenue la "ronde des éléphants", l'expression qui est utilisée en Allemagne pour décrire le débat qui réunit tous les candidats au poste de chancelier, juste après l'annonce des résultats à la télévision. Les négociations pour former une coalition vont commencer. Elles ont pris 73 jours la dernière fois. Mais là, il y un enjeu d'urgence. La situation est en effet particulièrement difficile et délicate pour l'économie, marquée par la forte concurrence chinoise qui bouleverse toute la vie des industries, avec des délocalisations, des fermetures d'usines, des licenciements. Les annonces sont presque hebdomadaires. Il y a aussi la menace des droits de douane que fait planer Donald Trump :  25% de hausse risquerait de frapper très lourdement, notamment l'industrie automobile, qui est le fleuron de l'industrie en Allemagne. Le débat sur la réforme du frein à l'endettement sur l'Ukraine devra fixer aussi la position de l'Allemagne à l'avenir. Aujourd’hui, deuxième soutien financier et militaire de l'Ukraine derrière les États-Unis, le retour de Trump pourrait rebattre les cartes.

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