Mort du pape François : un pontificat marqué par les tiraillements de l'Eglise catholique entre progressistes et conservateurs
/2021/12/14/61b8b997d2d04_pierre-godon.png)
/2025/02/19/gettyimages-1716660009-67b5b84b7a0cf308328154.jpg)
Pour sauvegarder cet article, connectez-vous ou créez un compte monfranceinfo
Sans paiement. Sans abonnement.
Un jour de mai 2024, le pape François est allé voir une dame âgée qui l'observait de loin, à l'issue d'une audience. Un échange de politesses que le souverain pontife conclut, comme à son habitude, par cette supplique : "Madame, priez pour moi." "Je le fais tous les jours", répond du tac au tac cette fidèle, âgée de 87 ans comme lui à l'époque, raconte le journal La Croix. Elle ajoute, en désignant le Vatican : "Faites attention, mon père, là-dedans, ils prient contre vous !" C'est peu dire que François, mort lundi 21 avril à l'âge de 88 ans, s'était fait des ennemis au sein même du Saint-Siège et de l'Eglise catholique en général.
Au moment de son élection, le 13 mars 2013, le tout nouveau souverain pontife était perçu en interne comme un "pape de transition". Son âge canonique de 76 ans en faisait le deuxième plus vieux cardinal élevé au rang de pape depuis la Révolution française. Ce qui ne l'avait pas empêché de démarrer son pontificat sur les chapeaux de roue, avec un programme ambitieux de modernisation de l'Eglise, notamment sur les questions sociétales et le statut des divorcés et des croyants homosexuels, lors du synode sur la famille, à partir de 2014.
Un départ en trompe-l'œil, pas suivi du grand soir qu'appelait de ses vœux la frange la plus progressiste de l'Eglise. La proposition d'autoriser les divorcés remariés à communier, votée à une très courte majorité par les membres du synode, a ainsi été zappée de la synthèse conclusive du pape, Amoris Laetitia.
Des positions critiquées sur les personnes homosexuelles
De la même façon, les espoirs nés des prises de position initiales du pape sur les personnes LGBT – "Qui suis-je pour juger ?" – n'ont pas été suivies d'effets face à la levée de boucliers de la faction conservatrice. Si une timide bénédiction des couples homosexuels hors des rituels liturgiques a été autorisée, les évêques africains s'y sont frontalement opposés au nom de "l'éthos culturel des communautés africaines", tandis que les autorités catholiques de l'ouest de la France ont appelé par écrit à bénir les homosexuels "individuellement" et "pas en tant que couple", dans un document révélé par France Bleu Armorique. Et si les fidèles transgenres peuvent désormais être baptisés, c'est à condition que cela ne provoque pas de "scandale" ou de "confusion".
Ce pas de deux s'est poursuivi dans le texte doctrinal Dignitas infinita, validé par François en 2024, dans lequel l'Eglise s'élève certes contre la criminalisation de l'homosexualité, mais réaffirme sa ligne traditionnelle en condamnant l'avortement, les transitions de genre, la gestation pour autrui et même la prétendue "théorie du genre", dont François parle comme d'une "colonisation idéologique très dangereuse". Plusieurs associations catholiques LGBT, notamment, avaient exprimé leur déception, tout comme quand il avait, la même année, employé un terme homophobe, avant de présenter ses excuses.
Symbole des espoirs déçus après les déclarations initiales du pape, la lettre de démission de l'archevêque de Munich, Reinhard Marx, en 2021 (refusée par François), dans laquelle il pointe un "échec institutionnel et systémique" dans la gestion de "la catastrophe des abus sexuels". Si, au cours de son pontificat, François a sanctionné des prélats et rendu les signalements obligatoires, son action a été entachée par l'émergence de plusieurs scandales et jugée encore insuffisante. "Certains au sein de l'Eglise ne veulent pas accepter cette responsabilité et donc la complicité de l'institution, et s'opposent ainsi à tout dialogue de réforme et de renouvellement en lien avec la crise des abus", pointait Reinhard Marx.
Une image de libéral un peu trompeuse
Une cacophonie encouragée par François lui-même. Dans son programme, publié en novembre 2013, le pape affichait sa volonté d'ouvrir le débat au public, dans une institution qui a longtemps lavé ses soutanes sales en famille. "Je préfère une Eglise accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu'une Eglise malade de la fermeture et du confort qui consiste à s'accrocher à ses propres sécurités", écrivait François. Mais dans le même texte, ce pragmatique renvoyait dos à dos la tentation du "raidissement hostile" des traditionalistes et la "miséricorde trompeuse" des libéraux, "celle qui panse les plaies sans les nettoyer d'abord et les soigner."
Timoré, le pape François ? Plus modéré qu'on ne croit, sûrement. En 2005, selon une rumeur tenace et jamais démentie, il disposait d'une minorité de blocage pour empêcher l'élection de Benoît XVI avant de se rallier au cardinal allemand, raconte La Croix. En 2013, dans un collège des cardinaux nommé en totalité par les très conservateurs Jean-Paul II et Benoît XVI, il devient le champion des libéraux. Un choix de compromis pour présenter un candidat consensuel capable d'obtenir la fameuse fumée blanche.
/2025/02/19/gettyimages-174492688-67b5b8aa963f8253913064.jpg)
Cette fumée indispose encore le camp conservateur. En un peu plus de dix ans, le pape François a été accusé de défendre des "hérésies" dans une tribune signée par plusieurs dizaines ecclésiastiques, a vu sa démission réclamée par un ancien cardinal (excommunié depuis) dans un talk show sur Canale Italia ("La véritable raison qui anime toutes les actions de l'Eglise de Bergoglio [le nom de famille civil du pape François] est la haine implacable de la tradition")... Dans un article publié à titre posthume par l'hebdomadaire britannique The Spectator, son homologue australien George Pell s'est livré à une charge au vitriol contre le texte introductif du dernier synode, portant sur la gouvernance de l'Eglise, un "cauchemar toxique" fait de "jargon néomarxiste et New Age". Même son de cloche auprès du cardinal allemand Gerhard Ludwig Müller, ancien préfet de la redoutée Congrégation pour la doctrine de la foi, remercié en 2017, qui fustige dans un livre la "démocratisation" et la "protestantisation" de l'Eglise, le cauchemar des traditionalistes. "Je n'ai pas peur des schismes", avait balayé François en 2019 lors d'une conférence de presse dans son avion, une de ses techniques favorites pour faire passer ses messages politiques.
Un pape très politique
L'opposition va au-delà de la sphère religieuse. L'entourage de Donald Trump s'est à plusieurs reprises frotté au Vatican. Son ex-éminence grise Steve Bannon, sur CBS en 2017, accusait les évêques américains d'encourager l'immigration illégale, car elle remplissait leurs églises. L'actuel vice-président J.D. Vance, lui-même catholique revendiqué, a expliqué dans un discours récent que charité bien ordonnée commençait par soi-même et donc surtout par les Américains. François n'a pas hésité à aller au clash avec le colistier de Donald Trump en soulignant que selon lui, l'amour chrétien se basait sur "une fraternité ouverte à tous".
Des positions promigrants, pro-justice sociale et pro-écologie qui le placent en porte-à-faux avec une partie de ses ouailles pour qui la foi est un marqueur identitaire. Et pas seulement aux Etats-Unis. Avait-on déjà vu un ministre italien, chapelet au poing, appeler ses supporters à huer le pape, comme l'a fait Matteo Salvini en 2019 ? "Steve Bannon a conseillé à Matteo Salvini de clamer que le pape représente l'ennemi", glissait alors au Guardian un cadre de la Lega, le parti du leader d'extrême droite transalpin hostile à l'accueil des migrants. Lequel s'était déjà affiché avec un t-shirt clamant "Mon pape à moi, c'est Benoît XVI". Le prélat allemand, devenu pape émérite jusqu'à sa mort fin 2022, a incarné jusqu'au bout l'opposition conservatrice dans l'ombre du titulaire du poste.
Derrière l'image bonhomme de François – "Il parle comme un curé de campagne", le brocarde un cardinal cité dans le livre François parmi les loups – se cache selon ses détracteurs un leader cassant et autoritaire, à l'image du portrait dressé dans un livre par le secrétaire personnel de Benoît XVI. Ce pape très politique aurait le compliment rare en interne. "Il n'a jamais eu un mot aimable pour les prêtres", le tance un ecclésiastique britannique cité dans le Guardian. "C'est un jésuite anticlérical."
Une énergie "consacrée à cacher ce qu'il pense"
Jésuite, le gros mot est lâché. Cet ordre religieux, qui n'avait jamais vu l'un de ses membres propulsé à la tête du Saint-Siège, n'a pas bonne presse auprès des autres composantes de l'Eglise. Sur le fond comme sur la forme, ce choix tranche avec une Curie qui préfère des papes très religieux qui choisissent de s'effacer derrière la fonction, comme Benoît XVI, plutôt que l'incarner, comme François. "La majeure partie de son énergie est consacrée à cacher ce qu'il pense, à cacher qui il est et à cacher ce qu'il va faire, d'une manière presque névrotique", peste un religieux dans Politico. En 2013, peu après son élection, il s'était dit, en italien dans le texte, "un po' furbo", c'est-à-dire "un peu rusé".
Ce fin renard a imprimé sa patte sur le futur collège des cardinaux appelés à désigner son successeur. Au total, parmi les près de 140 prélats enfermés lors du conclave, quatre sur cinq lui doivent leur nomination. Attaché à faire émerger des profils différents des caciques qui ont usé leur aube dans les cathédrales prestigieuses, le pape François a promu davantage de missionnaires et de profils issus de terres où les catholiques sont minoritaires. Sans oublier un rééquilibrage géographique au profit de l'Asie et l'Amérique du Sud, au détriment du Vieux-Continent et des Etats-Unis. Autant de décisions qui ont froissé des ego.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.