Marine Le Pen peut-elle être condamnée malgré son immunité parlementaire ?

Marine Le Pen a été condamnée à quatre ans de prison et cinq ans d'inéligibilité dans l'affaire des assistants parlementaires du FN au Parlement européen, ce qui l'empêche, en l'état, de se présenter à l'élection présidentielle de 2027. Pourtant, elle bénéficie d'une immunité parlementaire. N'est-ce pas contradictoire ?
Article rédigé par Armêl Balogog
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
La présidente du groupe des députés RN, Marine Le Pen, le 6 avril 2025. (JULIEN DE ROSA / AFP)
La présidente du groupe des députés RN, Marine Le Pen, le 6 avril 2025. (JULIEN DE ROSA / AFP)

L'immunité parlementaire de Marine Le Pen est-elle censée la protéger contre une condamnation dans l'affaire des accusations de détournement de fonds publics du Front national au Parlement européen ? C'est une question que semble poser un militant du Rassemblement national qui a participé au meeting de soutien à Marine Le Pen dimanche 6 avril à Paris, pour protester contre sa condamnation à quatre ans de prison et cinq ans d'inéligibilité pour avoir détourné plus de quatre millions d'euros. Marine Le Pen a fait appel.

Interviewé par BFM TV, cet homme, prénommé Yves, a confié qu'il considérait qu'"en tant que député, elle devrait pouvoir accéder à une immunité, que la justice tente de la museler". Cet argument de l'immunité parlementaire a aussi été avancé par la défense de la patronne du RN pendant son procès en première instance.

Une immunité dans certaines conditions

Mais en réalité, la condamnation de Marine Le Pen n'est pas contradictoire avec son immunité parlementaire. Notons d'ailleurs que si l'immunité parlementaire peut être levée parfois par l'assemblée dont le parlementaire est membre, celle de Marine Le Pen ne l'a pas été dans cette affaire

Cette immunité est garantie par l'article 26 de la Constitution et elle recouvre deux choses. D'une part, le mandat des parlementaires ne peut pas être interrompu par des mesures de privation de liberté, comme une garde à vue ou une arrestation, sauf si c'est autorisé par le bureau de l'Assemblée. C'est ce qu'on appelle "l'inviolabilité" du député.

C'est ce qui a permis à Marine Le Pen de refuser, dans un premier temps, de répondre aux convocations des juges d'instruction qui voulaient la mettre en examen dans cette affaire en 2017. Les juges ne pouvant pas la forcer à venir puisqu'ils ne pouvaient pas demander une interpellation ni une garde à vue en raison de l'inviolabilité de son mandat, avait demandé la levée de son immunité à l'Assemblée nationale, sans réponse. Après deux refus et après plusieurs mois, Marine Le Pen avait finalement accepté d'aller voir les juges.

D'autre part, le député ne peut pas être tenu responsable des actes effectués dans le cadre de son mandat, c'est ce qu'on appelle "l'irresponsabilité". C'est là qu'il y a une subtilité. Cela concerne uniquement ce que le député fait en tant que député, comme voter des lois, prendre position sur tel ou tel sujet, donner son opinion. En revanche, ça n'empêche pas la justice ni de poursuivre un élu, ni de le condamner s'il a commis un délit ou un crime. Et ça, les juges qui ont condamné Marine Le Pen en première instance l'expliquent en détail dans leur délibéré.

Pas d'immunité "générale" ni "absolue"

Les juges expliquent que "les détournements de fonds publics poursuivis sont, par nature, des actes détachables du mandat de député européen. Soutenir l'inverse revient à considérer ab initio [dès le début] que l'affectation par un député à son parti politique de sa dotation parlementaire européenne serait possible et inhérente à son mandat".

Autrement dit, les juges estiment que le principe de l'immunité parlementaire ne s'applique pas aux accusations qui visent présentement Marine Le Pen, parce que détourner des fonds publics ne fait pas partie du travail habituel d'un député et que le député n'est protégé par son immunité que pour son travail habituel.

Pour arriver à cette conclusion, ils se sont appuyés sur plusieurs décisions antérieures, dont une de la Cour de cassation. Elle a jugé, en avril 2024, dans l'affaire Fillon, que "le principe de séparation des pouvoirs n'interdit pas au juge judiciaire, saisi de poursuites engagées du chef du délit de détournement de fonds publics, infraction contre la probité, qui n'entre pas dans le champ de l'irresponsabilité de l'article 26 de la Constitution, d'apprécier la réalité de l'exécution du contrat de droit privé conclu entre un membre du Parlement et un de ses collaborateurs".

Ils citent aussi la Cour européenne des droits de l'homme qui rappelle que "les immunités parlementaires visent à permettre la libre expression des représentants du peuple et empêcher que des poursuites partisanes puissent porter atteintes à cette fonction parlementaire" mais que cette immunité "ne dispense pas les parlementaires du respect des principes de la démocratie" et qu'"aucune disposition constitutionnelle ou conventionnelle ne confère au parlementaire l'impunité générale et absolue", qu'au contraire, les parlementaires doivent s'astreindre "à une exigence accrue de probité et d'intégrité".

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