Les écrivains et la raison d’Etat : l'info de l'histoire du 29 mars

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Article rédigé par Fabrice d'Almeida
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
L'écrivain Boualem Sansal, le 22 avril 2022 en France. (NICOLAS PARENT / MAXPPP)
L'écrivain Boualem Sansal, le 22 avril 2022 en France. (NICOLAS PARENT / MAXPPP)

La condamnation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal à cinq ans de prison ferme en Algérie lui fait rejoindre la longue cohorte des écrivains condamnés dans leur pays. En ce jour de manifestation en Turquie, on ne peut pas ne pas évoquer l'écrivain turc Orhan Pamuk, qui s’est retrouvé dans une situation comparable : en 2005, l’année avant de recevoir le prix Nobel de littérature, Pamuk avait donné une interview au magazine Tages Anzeiger de Zurich, dans laquelle il déclarait : "Un million d'Arméniens et 30 000 Kurdes ont été tués en Turquie. Personne n'ose en parler, c'est pour cela que les nationalistes me détestent."

Cette reconnaissance du génocide déclenche un tollé en Turquie. À Istanbul, où il habite, les nationalistes l’insultent et le menacent de mort. Des officiels lancent des anathèmes contre lui. Et la justice s’en mêle. En octobre 2005, il est mis en examen pour avoir "insulté l’identité turque". Quand il se rend à l’audience qui a lieu en décembre, il est agressé. Il risquait de la prison ferme. La pression internationale est forte et ce procès menace la candidature turque à l’Europe. Si bien qu’au mois de janvier 2006, les poursuites sont abandonnées. En octobre 2006, le prix Nobel lui est attribué. Pamuk finit par partir vivre aux Etats-Unis, car malgré son prestige international il sent la menace. Il s’est joint à la protestation contre l’arrestation du principal opposant au régime Erdogan, Ekrem Imamoglu. Pour lui, la démocratie turque touche à sa fin.

Fait fondateur : le "J'accuse" de Zola sur l'affaire Dreyfus

En fait, ce rôle critique de la raison d’Etat par les écrivains remonte à l’affaire Dreyfus. Le cas d’Emile Zola, qui décide de défendre le capitaine juif Alfred Dreyfus, accusé à tort de trahison par l’armée, est le grand précédent de toutes ces affaires. Zola publie son célèbre J’accuse le 13 janvier 1898. Il est poursuivi en diffamation avec des plaintes déposées dès le 18 janvier. Après deux procès, le 18 juillet 1898 Zola est condamné : amende et surtout un an de prison ferme. Il part en Angleterre onze mois pour échapper à la sentence.

Il voit la grâce de Dreyfus, mais fait plus étrange à retenir de nos jours, il voit aussi la loi d’amnistie qui met à l’abri les généraux qui avaient composé ce complot contre la vérité. Si je mentionne cela, c’est que l’on espère la grâce de Boualem Sansal. Mais gageons qu’elle ne sera pas suivie d’une loi d’amnistie pour ces généraux algériens qui n’ont pas hésité à faire vaciller la démocratie en Algérie, et à réprimer le Hirak, ce grand mouvement de protestation, en 2019 et 2021. Ces vrais détenteurs du pouvoir autoritaire.

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