Guerre à Gaza : ce que l'on sait de l'attaque de l'armée israélienne, qui a tué quinze secouristes près de Rafah le 23 mars

Des soldats israéliens ont ouvert le feu le 23 mars sur des ambulances de la défense civile et du Croissant-Rouge palestinien. Presque un mois plus tard, l'armée israélienne a publié les conclusions de son enquête interne.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Des membres du Croissant-Rouge lors des obsèques d'un secouriste tué par les forces israéliennes, le 31 mars 2025 à Khan Younes, dans le sud de la bande de Gaza. (HANI ALSHAER / ANADOLU / AFP)
Des membres du Croissant-Rouge lors des obsèques d'un secouriste tué par les forces israéliennes, le 31 mars 2025 à Khan Younes, dans le sud de la bande de Gaza. (HANI ALSHAER / ANADOLU / AFP)

Quinze corps retrouvés dans une fosse commune. Depuis la découverte, le 31 mars, des dépouilles des secouristes portés disparus huit jours plus tôt près de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, plusieurs zones d'ombre entourent encore l'attaque de ce convoi d'ambulances menée par l'armée israélienne.

La défense civile palestinienne dénonce des "exécutions sommaires", quand Tsahal conclut à des "fautes professionnelles" dans ses rangs après avoir mené une enquête interne. Mais les services de secours du Croissant-Rouge, qui ont perdu huit de leurs membres dans la fusillade, rejettent ce rapport, qu'ils jugent "truffé de mensonges". Presque un mois après les faits, franceinfo remonte le fil de ce drame qui a provoqué de vives réactions, aussi bien dans la région qu'à l'international.

Des disparitions signalées le 23 mars, en pleine reprise de l'offensive israélienne dans la bande de Gaza

La première alerte est donnée le 23 mars au petit matin par le Croissant-Rouge palestinien, qui décrit sur son compte X une situation extrêmement tendue dans le sud de la bande de Gaza. "Les forces d'occupation encerclent plusieurs ambulances du Croissant-Rouge palestinien [PRCS] alors qu'elles répondaient à une attaque sur la zone d'al-Hashashin à Rafah", écrit alors l'organisation, en faisant référence à l'armée israélienne. "Plusieurs ambulanciers du PRCS ont été blessés et le contact a été perdu avec l'équipe, qui est coincée depuis plusieurs heures", ajoute le Croissant-Rouge.

L'attaque qui mobilise alors ces secouristes a lieu dans le cadre de la reprise de l'offensive israélienne sur l'enclave palestinienne, décidée par l'Etat hébreu le 18 mars après deux mois de trêve avec le Hamas. Il ne s'agit pas d'un bombardement, mais d'une opération terrestre dans les environs de Rafah, comme le décrit ce jour-là l'armée israélienne sur Telegram, faisant part de "l'encerclement" du quartier de Tal al-Sultan, dans la partie ouest de Rafah. Lors de cette attaque, lancée dans la nuit du 22 au 23 mars, les forces israéliennes ont "éliminé plusieurs terroristes et mené un raid ciblé sur un site d'infrastructure terroriste utilisé ces derniers mois comme centre de commandement et de contrôle par les terroristes du Hamas", affirme alors Tsahal.

Huit jours plus tard, la découverte d'une "fosse commune" creusée dans le sable

Le Croissant-Rouge palestinien met tout en œuvre pour retrouver les secouristes. Après plusieurs jours de recherches, une mission conjointe d'humanitaires finit par découvrir ce que Jonathan Whittall, employé du Bureau des opérations humanitaires de l'ONU (Ocha), qualifie de "fosse commune". Celle-ci contient les corps de 15  secouristes, dont huit membres du PRCS et un employé des Nations unies. "Une expérience choquante pour nous", témoigne-t-il depuis Gaza lors d'une conférence de presse le 2 avril, précisant que les victimes étaient "toujours dans leurs uniformes, avec leurs gants, tuées alors qu'elles tentaient de sauver des vies". Le responsable de l'Ocha dans les territoires palestiniens décrit également des ambulances "touchées une par une", retrouvées détruites à proximité immédiate de la "fosse".

Face à ces révélations, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, "choqué", exige "une enquête complète, minutieuse et indépendante". L'armée israélienne, qui reconnaît avoir ouvert le feu, affirme de son côté investiguer sur "l'incident du 23 mars", tout en soutenant que ses soldats ont visé des "terroristes". "Comment neuf terroristes du Hamas se sont-ils retrouvés dans des ambulances du Croissant-Rouge ? Leur présence met tout le monde en danger", avance l'ambassadeur israélien à l'ONU Danny Danon, appelant à un "meilleur système de sélection" du personnel.

Mais les autopsies menées sur quatorze des victimes, dévoilées le 15 avril par le quotidien américain The New York Times, viennent nuancer cette version : 11 des secouristes présentaient des blessures par balles, dont six dans la poitrine ou le dos et quatre à la tête ; plusieurs corps étaient mutilés, certains souffrant de blessures causées par des éclats, d'autres présentant des membres manquants. "Des marques et des ecchymoses" sont aussi décelées sur les poignets d'une victime, "suggérant que ses mains avaient été liées". Par ailleurs, toutes portaient des uniformes humanitaires clairement visibles, selon les médecins légistes. 

Une vidéo filmée par l'un des secouristes met à mal la version israélienne

Une vidéo, diffusée le 5 avril par le Croissant-Rouge palestinien, contredit frontalement la version avancée par l'armée israélienne, selon laquelle ses soldats auraient visé des "terroristes" circulant à bord de "véhicules suspects", dépourvus de gyrophares ou de tout signe d'identification. Sur les images, filmées de l'intérieur d'un véhicule par un secouriste, on distingue clairement des ambulances marquées aux couleurs du Croissant-Rouge, des gyrophares allumés et du personnel médical en uniforme.

En fond sonore, on entend la voix d'un ambulancier  : "Maman, pardonne-moi maman, c'est la voie que j'ai choisie, je voulais aider les gens, je voulais sauver des vies." Quelques secondes plus tard, des tirs nourris éclatent. Le convoi, arrêté au bord de la route, ne redémarrera jamais. Face à la diffusion de ces images, Tsahal maintient sa position, expliquant que le Hamas "utilise régulièrement des ambulances" pour se déplacer dans la bande de Gaza.

Un officier limogé après une enquête interne de l'armée israélienne

Presque un mois après les faits, l'armée israélienne publie les conclusions de son enquête interne, le 20 avril. Le général de réserve Yoav Har-Even, en charge des investigations, reconnaît une "erreur" qui ne "se produit pas tous les jours". Le rapport pointe "plusieurs fautes professionnelles", des "désobéissances aux ordres" et "un manquement à rendre totalement compte de l'incident" dans les rangs des troupes déployées ce jour-là. Tsahal décide de relever de ses fonctions l'officier qui commandait l'unité sur le terrain ce jour-là. 

L'armée insiste néanmoins sur le fait que les tirs n'ont pas été effectués "à l'aveugle" et qu'aucune "exécution" n'a été mise en évidence. Selon le rapport, les soldats ont d'abord visé un véhicule du Hamas, puis, une heure plus tard, un camion de pompiers et des ambulances, et enfin un véhicule de l'ONU. Tsahal évoque un "malentendu opérationnel" dans les deux premiers cas et une "violation des ordres" dans le troisième.

Ces conclusions sont vivement contestées par les secours palestiniens. Le Croissant-Rouge palestinien rejette catégoriquement le rapport, qu'il qualifie de "truffé de mensonges". Sa porte-parole en Cisjordanie estime qu'Israël cherche à "[justifier] des meurtres". Le responsable de la défense civile à Gaza accuse de son côté Israël de chercher à "échapper à ses responsabilités et aux poursuites internationales" et dénonce "des exécutions sommaires" : il assure que plusieurs victimes ont reçu plus de vingt balles, certaines directement au niveau de la tête. 

Les résultats de l'enquête divisent jusqu'en Israël. Le ministre d'extrême droite Itamar Ben Gvir a réagi au limogeage de l'officier, fustigeant une "erreur grave" et reprochant à l'état-major de ne pas soutenir ses soldats "qui risquent leur vie à Gaza", rapporte Le Monde. A l'inverse, l'ONG israélienne Breaking the Silence dénonce une enquête lacunaire. "Un jour de plus, une dissimulation de plus", s'indigne l'organisation dans un communiqué, déplorant "encore des vies innocentes emportées, sans que personne n'ait à rendre de comptes".

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