Festival de Pâques de Deauville 2025 : quand deux fratries de musiciens se retrouvent, les Fouchenneret et les Okada, entre Fauré et Schubert
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Au Festival de Pâques, qui se tient jusqu'au samedi 26 avril à Deauville, l'"esprit de famille" est sans doute ce qui revient le plus pour décrire l'ambiance qui règne entre les musiciens qui viennent jouer, dans le dialogue des générations, depuis près de trente ans. Car c'est le principe de ce festival hors normes : faire éclore les nouvelles pépites du classique, repérées puis "cooptées" (le terme est une sorte de label du festival) par plus aînées qu'elles.
En ce week-end de Pâques, cet esprit a rarement aussi bien porté son nom qu'avec la présence de deux fratries – les Fouchenneret et les Okada – qui s'y sont produites samedi 19 et dimanche 20 avril avec d'autres interprètes. Rien pourtant sur scène avant, pendant et après le concert n'a trahi le lien de sang. Pas une accolade, pas un clin d'œil. Tout juste a-t-on pu remarquer pendant les applaudissements une petite tape à l'épaule du cadet par l'aîné, dans les deux cas. Comme pour rappeler que la musique de chambre, c'est avant tout un ensemble. Une famille, mais au sens large.
"Partenaires de musique de chambre de haute complicité"
Des Fouchenneret, l'aîné, c'est Pierre, pas encore 40 ans, violoniste reconnu et pilier du Festival de Pâques. Près de dix ans de plus que Théo, pianiste à l'avenir plus que prometteur. "C'est émouvant", nous confie Pierre. "Là, je joue avec mes compagnons de route François Salque et Lise Berthaud, ma sœur en musique, et maintenant, je vois mon frère qui est là et qui est de moins en moins jeune, parce qu'il y en a encore plus jeunes que lui. On est devenus comme des partenaires de musique de chambre de haute complicité… Mais je peux dire la même chose avec mes collègues du concert", ajoute-t-il avec un sourire.
Sauf que l'un et l'autre ont une histoire de grand et de petit frère, avec pour Pierre "presque un côté pédagogique" à l'égard de Théo, dit-il sobrement. Puis le plus jeune grandit et arrive dans le milieu musical parisien : "Je me suis alors volontairement retiré de son évolution artistique. Il a travaillé, s'est confronté à plein d'autres jeunes de sa génération, a évolué et après, il a gagné le premier prix du concours de Genève, qui l'a propulsé sur la scène internationale. Et là, l'idée des organisateurs était naturellement de nous réunir. C'était une grande joie pour nous et on a accepté. À ce moment-là, je n'ai pas complètement retrouvé mon petit frère, j'ai trouvé un alter ego musical avec lequel j'ai débattu et je me suis confronté, mais à armes égales."
Gabriel Fauré en partage
Évidemment, Pierre connaît "toutes les inflexions du clavier" de Théo, qui est lui né avec le son du violon de Pierre. L'un et l'autre connaissent leurs goûts musicaux respectifs, mais chacun a eu son propre parcours. Reste une passion commune, démesurée, pour Gabriel Fauré, auquel chacun a d'ailleurs consacré un disque.
Et c'est une pièce de Fauré, le Quatuor pour piano et cordes n°2, qui ouvre le programme du samedi soir du festival de Deauville : avec, pour les musiciens, sa complexité harmonique et de forme, et pour l'auditeur, ses phases inquiétantes, puis de brève gaîté. Comme son frère, Pierre Fouchenneret est absorbé : "Il y a dans ce quatuor, à la fois, de la sensualité et de l'élévation spirituelle, et je ne peux pas dissocier l'une de l'autre", dit-il.
L'autre morceau du concert est aux antipodes, le Trio pour piano, violon et violoncelle op 50 de Tchaïkovski, d'une rare intensité. L'œuvre dédiée "à la mémoire d'un grand artiste", son mentor le pianiste Nikolaï Rubinstein, est considérée comme l'une des pièces pour piano les plus complexes.
Théo Fouchenneret, son frère Pierre et le violoncelliste François Salque s'y investissent pleinement et physiquement et l'on se demande si on est sur scène ou sur un ring. "Je ne l'envisage pas comme une pièce de musique de chambre, mais comme un combat entre trois instruments qui vont parfois s'unir et parfois se battre, y compris dans le décibel. C'est une musique ultra-animale. Elle est simple, populaire, mais demande une dépense d'énergie incroyable". Les spectateurs en sont bouleversés.
Osmose fraternelle
Dimanche 20 avril, c'est au tour du violoniste Shuichi Okada, 30 ans, dans le cadre du trio Arnold, de retrouver son frère Kojiro, pianiste, 25 ans. Le Festival de Pâques et la résidence de préparation du programme auprès de la Fondation Singer-Polignac, Kojiro connaît et en rêve depuis longtemps.
Les rejoindre – depuis 2024 – est une fierté. Le compagnonnage entre générations est source de nouvelles idées. "Mais nous, les plus jeunes, on a surtout besoin d'apprendre des aînés l'expérience de la scène. Ce n'est pas évident : comment tenir un programme tout le long ?".
"C'est une expérience d'être sur scène pendant 75 minutes pour partager des émotions et les transmettre au public", reconnaît Shuichi Okada. "Et donc il faut une osmose pour jouer ensemble, c'est une chose qu'on travaille entre collègues, il faut se mettre d'accord. Dans notre cas, entre frères, c'est naturel, on n'a pas besoin de discuter, c'est intuitif." "Une évidence", surenchérit Kojiro.
Le programme de dimanche, conçu autour d'œuvres de jeunesse, est beau et complexe. Notamment la partition du piano de la première pièce, le Quatuor pour piano et cordes de Beethoven n°3 (WoO 36 n°3). Mais c'est dans le Duo de Schubert que les frères se retrouvent tous les deux. Entente et complicité discrètes devant l'adversité.
Car malgré la jeunesse de son compositeur, le Duo est déjà une œuvre "de grande maturité" et "la plus exigeante sur le plan émotionnel, car elle est déchirante", explique Shuichi. "On est à nu devant le public et on doit tout donner. Il y a en apparence un côté très joyeux, presque léger chez Schubert, mais il faut toujours rendre l'autre émotion liée à la nostalgie", précise-t-il.
Le quatuor de Mendelssohn pour piano et cordes clôt la soirée, "en énorme contraste avec celui de Schubert", attestent les frères. "L'émotion y est instantanée, elle parle tout de suite, en temps réel, c'est très tranché". Les musiciens se voient transportés "instantanément". Le public aussi.
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