Enquête : sur Google, le règne des sites générés par IA
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Dans le paysage médiatique actuel, même les professionnels de la presse peuvent être dupés. L'Oeil du 20h n'a pas été épargné. Par un portrait élogieux consacré à l’universitaire Gilles Dufrénot. Ce dernier serait “un économiste renommé”, au parcours “remarquable”. Mais lorsque nous le contactons … Surprise !
L'enseignant-chercheur en macroéconomie n'est pas l'homme présenté sur la photo illustrant l'article. "Pas de confusion possible !", s'amuse-t-il. "Au départ on s’est demandé est-ce que c’était le directeur du journal, est-ce que c’était le journaliste…et puis en lisant l’article je me suis demandé si ce n'était pas une intelligence générative qui avait écrit le texte."
Bref, un faux site. Et en cherchant attentivement des indices, la page dont il est tiré, News of Marseille, ne s’en cache pas: l’auteur de l’article n’existe pas, il est même présenté comme un “rédacteur virtuel”. Quant à la photo d’illustration, une petite ligne cachée dans les mentions légales du site indique qu'elle a été générée par IA. Et ce site n’est pas une exception.
Des sites générés par IA de plus en plus nombreux
Au cours de notre enquête, nous avons identifié plus de 130 de ces faux sites d'actualités, accessibles via l'application Google. En apparence, des sites d’actualité gratuits, avec des dizaines d’articles publiés par jour, aux titres accrocheurs. Mais ils reposent sur un modèle trompeur. Pour se crédibiliser, ils vont jusqu’à inventer des journalistes présentés dans des biographies fictives, vantant des qualités comme une “curiosité sans limite” ou une “approche pragmatique”.
En réalité, derrière cette apparente rédaction, se cache une seule personne exploitant l’intelligence artificielle. Car pour faire vivre un site, plus besoin de savoir coder ou d’être journaliste : il suffit de faire travailler l’IA.
L'Oeil du 20h fait le test
A quel point l'opération est-elle facile ? Pour le savoir, nous créons un faux site de l’Oeil du 20h. Et nous demandons à l’IA de le remplir. En lui indiquant le ton à adopter, journalistique, soutenu ou neutre, et en lui précisant le sujet à traiter. D’elle-même, elle promet des enquêtes éclairantes et des vérités cachées.
En quelques heures, la démonstration est sans appel. Les articles produit par l'IA et non relus sont truffés d’erreurs. Exemple, sur la dernière cérémonie des Oscars. Notre commande est la suivante : "récit de la cérémonie des Oscars 2025". Le résultat rédigé par l'IA interroge sérieusement sa fiabilité. Le palmarès qu'elle indique est farfelu : les films soit-disant primés n'existent pas. Quant au prix du meilleur scénario, il aurait été remis à une IA ! Ce qui est évidemment faux.
Des sites très lucratifs
Mais alors quel est l'objectif de ces faux médias ? Tous ont un point commun : l’omniprésence de la pub, placée là par Google comme sur n’importe quel site. Grâce à cela, les créateurs de ces pages sont rémunérés : jusqu’à 100 000 dollars quand le site atteint les 10 millions de visiteurs, d'après une simulation de revenus faite par Google. Ces pubs sont leur raison d’être et les articles ne sont qu’un prétexte.
Alors certains se sont engouffrés dans la brèche. Un éditeur de sites a même industrialisé le modèle. A lui seul, il gère une quarantaine de pages, dont certaines publient plus de 150 articles par jour. Le tout depuis son domicile. Il n’a pas répondu à nos demandes d'interview. Nous nous rendons à sa rencontre. Le ton est tout de suite agressif.
Lorsque nous l'interrogeons sur son activité, il minimise en indiquant : "ce n'est pas compliqué, je suis une personne qui essaie de faire de l'argent et nourrir mes enfants." Et sur nos questions concernant es cas de pillage sur son site et la pratique du copier-coller, il nie en bloc : "C'est faux. A aucun moment on n’utiliserait le contenu de quelqu’un d’autre."
Pourtant, un article posté le matin-même semble cocher toutes ces cases. Il reprend des citations au mot près tirées d'un reportage du "Journal des Femmes". Nous le questionnons sur cet exemple précis. L'éditeur de site reconnaît aors que sans un autre média et le travail d'une journaliste, son article n'aurait pas pu exister.
Depuis notre échange, l’article en question est resté en ligne, sans modification.
Contacté pour réagir à nos découvertes, Google affirme faire la chasse à ces faux sites :
“Nos systèmes anti-spam luttent contre la production de masse de contenus de faible qualité, et assurent ainsi l’exclusion de la majorité de ces contenus de Discover. Ces mêmes systèmes permettent de proposer des résultats de recherche à 99% sans spam. Nos systèmes anti-spam ciblent spécifiquement les tactiques de manipulation présentes dans certains des exemples communiqués. De plus, la monétisation est interdite sur les contenus de faible qualité ou considérés comme du spam."
Le géant américain nous informe par ailleurs que deux des sites que nous leur avons signalés sont désormais privés de publicités. Interrogées, toutes les marques apparaissant sur ces faux médias nous ont dit découvrir le problème.
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