: Reportage "Laisser une tâche aussi sensible dans les mains d'une machine, c'est dangereux" : l'intelligence artificielle inquiète les interprètes des Nations unies
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Pas un jour, ou presque, sans évoquer l'intelligence artificielle, ses avancées fulgurantes, autant que les craintes qu'elle suscite. Au sein de la profession d'interprète, par exemple, beaucoup redoutent d’être un jour remplacés par des services comme ChatGPT ou DeepL. Des solutions beaucoup moins chères, mais aussi beaucoup moins précises lorsque le sujet devient technique et diplomatique, par exemple aux Nations unies, à Genève.
C'est dans la salle XX du Palais des Nations que se tient trois fois par an le Conseil des droits de l’Homme. Des centaines de diplomates s'y succèdent pendant plusieurs semaines. Il est donc nécessaire de traduire leurs prises de parole dans les six langues officielles de l’ONU. C’est le travail des interprètes, que dirige Monica Varela Garcia : "Ce ne sont pas des perroquets, ils captent le sens de l'orateur. D'ailleurs, c'est pour ça qu'ils sont dans la salle, avec une vue directe, parce qu'il y a la communication verbale, mais il y a aussi le non-verbal qui compte énormément."
Maîtriser la diplomatie
Avec 2 700 conférences par an, traduites dans les six langues officielles – un peu plus de sept par jour en moyenne –, la centaine d’interprètes n’a pas le temps de chômer. L'arrivée de l’IA inquiète, forcément, à cause de la peur d’être remplacé par une machine. Leur chef se veut rassurante, selon elle, ce ne sera pas pour demain. "L'interprétation, c'est un produit live, qui ne peut pas être corrigé a posteriori, reprend Monica Varela Garcia. Laisser une tâche aussi sensible dans les mains d'une machine, ce serait dangereux."
L'avantage pour les interprètes, leur chance, c’est que l’IA ne maîtrise pas les codes de la diplomatie. Rima Al-Chikh dirige la division des conférences aux Nations unies : "Le travail ici, ce n'est pas un travail anodin. C'est une organisation qui produit aussi des textes législatifs. Je ne dis pas que les outils d'intelligence artificielle ne pourront pas faire le travail, mais ce qui va arriver, c'est que l'IA se croie obligée de fournir une réponse, en inventant. D'où la nécessité d'avoir un œil derrière."
"Pour le moment, les seules personnes avec cette expertise, ce sont nos traducteurs et nos interprètes. Il n'y a personne d'autre."
Rima Al-Chikh, directrice de la division des conférences aux Nation uniesfranceinfo
L’ONU utilise tout de même des outils d’aide à la traduction, ne serait-ce que pour les 250 000 pages de rapports et autres documents officiels à traduire chaque année. Mais l’intelligence artificielle nécessite d’obtenir le feu vert des États membres, pas toujours en accord sur le sujet. D’autant qu'il faudra encore déterminer quel système utiliser. Américain ? Chinois ? Ce sera sans doute le premier conflit provoqué par l’intelligence artificielle.
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