Prévisions de l'OMC à la baisse : "C'est un recul important, mais on a encore des incertitudes énormes vis-à-vis des États-Unis", selon l'économiste Vincent Vicard
Pour sauvegarder cet article, connectez-vous ou créez un compte monfranceinfo
Sans paiement. Sans abonnement.
/2023/07/07/64a7df4c5fe71_placeholder-36b69ec8.png)
/2024/03/04/camille-revel-65e601d27381a533421698.png)
/2025/04/16/sans-titre-67ffe823a4a59975070907.png)
Alors que François Bayrou a déclaré, mardi 15 avril, que la France ne "produit pas assez" et que la réindustrialisation devait devenir une "obsession nationale", l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce revoit ses prévisions fortement à la baisse. Elle table sur un recul du commerce mondial cette année, passant de 3% à entre 0,2 et 1,5% en volume, selon la politique douanière de Donald Trump à venir.
Celle-ci a déjà des effets notables, selon l'OMC qui dit que "les exportations chinoises de marchandises devraient augmenter de 4% à 9% dans toutes les régions hors Amérique du Nord, grâce à la réorientation des échanges". L'Amérique du Nord, elle devrait connaître "une baisse de 12,6% des exportations et de 9,6% des importations en 2025". Et les pays les moins avancés (PMA), tournés vers l'exportation, pourraient subir "de graves répercussions" avec les rétablissements des droits de douane américains.
En résumé, "l'incertitude persistante menace de freiner la croissance mondiale, avec de sévères conséquences négatives pour le monde, en particulier pour les économies les plus vulnérables", selon la directrice générale de l'OMC.
franceinfo : Vincent Vicard, vous êtes économiste spécialiste des questions de commerce international, adjoint au directeur du CEPII, Centre français de recherche et d’expertise en économie internationale, et auteur de Faut-il réindustrialiser la France ? chez PUF. Vous vous attendiez à ces prévisions à la baisse ?
Vincent Vicard : Alors c'est une gageure de faire des prévisions avec l'incertitude qu'on connaît en ce moment. Donald Trump fait des annonces de droits de douane extrêmement élevés, puis revient en arrière une semaine après. Faire des prévisions sur l'année, ça veut dire faire des prévisions sur ce que va faire Donald Trump sur les prochains mois. Et donc ça, personne ne le sait. Lui-même, on ne sait pas vraiment s'il le sait.
"Les négociations qui sont censées se dérouler en ce moment avec l'ensemble des pays, on ne sait pas vraiment vers où elles vont, ni quel est l'objectif même de Donald Trump avec ces négociations."
Vincent Vicard, adjoint au directeur du CEPIIà franceinfo
Ce n'est pas une surprise que ces droits de douane entraînent une baisse du commerce international. C'est un choc important pour le commerce international. C'est le principal pays, les États-Unis, qui représentent 13% des importations mondiales, qui met des droits de douane de 10% sur l'ensemble de ses partenaires et plus élevés sur certains produits qui sont beaucoup échangés, comme l'acier, l'aluminium ou l'automobile.
Et quelle doit être, selon vous, la réponse de l'Union européenne ?
La réponse de l'Union européenne, elle doit être de deux ordres. D'une part, vis-à-vis des États-Unis, il y a une nécessité de mettre en place une réponse proportionnée, parce qu'il y a une négociation qui doit être menée face au rapport de force engagé par l'administration Trump. La question est de savoir si on le fait sur les biens, avec des droits de douane, ou sur les services, avec des restrictions de l'accès au marché pour les exportateurs américains de services vers l'Union européenne. Ça, c'est une question qui doit être posée par les gouvernements et la Commission européenne. Puis, vis-à-vis de la Chine, il y a une nécessité d'avoir une réponse coordonnée aussi par rapport aux États-Unis, pour savoir comment on va gérer cette redirection du commerce et ne pas entraîner une escalade. Sinon ce serait vraiment la pire situation : avoir une escalade et un deuxième front dans un conflit commercial au niveau mondial.
Est-ce que les membres de l'Union européenne n'ont pas tendance à se faire concurrence entre eux, quitte à se mettre des bâtons dans les roues ?
On sait qu'il y a des intérêts divergents. Ils ne sont pas les mêmes en l'Allemagne, qui est beaucoup plus ouverte au commerce, qui a des intérêts en Chine, notamment ses producteurs automobiles, et qui est beaucoup plus exportateur vis-à-vis des États-Unis. D'autres pays comme l'Irlande ou l'Italie sont aussi plus exposés aux États-Unis. Mais il faut voir l'ampleur du choc qu'on a connu avec Donald Trump, alors que ça ne fait que trois mois qu'il est là. Le nombre d'annonces qu'on a eu sur le commerce international, de restrictions, de menaces sur un certain nombre de sujets, en même dehors du commerce. Des sujets qui touchent à la sécurité.
"Il me semble qu'il y a quand même une logique de réponse européenne qui commence à se dessiner, et qui va au-delà des dissensions entre les pays européens."
Vincent Vicardà franceinfo
Avec une chance, peut-être, d'une véritable réponse européenne et un approfondissement du marché européen qui renforce l'Union.
À quoi sert aujourd'hui l'OMC, est-ce qu'elle a encore du pouvoir ?
L'Organisation mondiale du commerce était déjà mal en point avant même l'arrivée de Donald Trump au pouvoir. Mais il me semble qu'il faut penser quand même l'après-Donald-Trump. Et les États-Unis, c'est 13% des importations mondiales, ça veut dire qu'il reste 87% du commerce international avec des pays qui sont attachés au système multilatéral. L'OMC avait des défauts et ils étaient déjà pointés, notamment vis-à-vis de la Chine et des subventions chinoises. Mais il y a quand même cet attachement à un système multilatéral. Il faut rappeler que l'Union européenne, contrairement à d'autres pays, c'est un grand pays qui a les moyens aussi de répondre à Donald Trump, comme le fait la Chine aujourd'hui. Peut-être pas dans les mêmes proportions, mais c'est quelque chose que ne peuvent pas faire d'autres pays. Par exemple, le Vietnam qui est ciblé par 46% de droits de douane initialement - qui ont été suspendus, n'a pas la même capacité à répondre étant donné l'importance du marché américain pour ce pays. Donc, il y a peut-être une responsabilité de l'Union européenne de répondre à cette brèche ouverte par Donald Trump dans le système commercial multilatéral.
La Chine change son négociateur sur le commerce international. C'est un signal particulier ?
C'est peut-être le signal qu'il y a un changement, une prise en compte du fait qu'on n'est plus dans la même situation qu'il y a quatre ans. Il y a quatre ans, ce négociateur avait réussi à trouver un accord, où la Chine s'engageait à acheter des produits américains. Ce qui n'a pas été très loin et pas très respecté, mais ça avait empêché une escalade. Aujourd'hui, c'est la reconnaissance qu'on est dans une situation assez différente, avec une escalade beaucoup plus importante. Il faut rappeler qu'on est à plus de 100% de droits de douane sur les importations chinoises. Et donc la Chine a sûrement une stratégie un peu différente qui commence à se mettre en place, pour essayer de trouver comment "désescalader" la situation.
Que dire des prévisions à la baisse de l'OMC, entre 0,2 et 1,5% de croissance du commerce mondial, ce sont des chiffres qui ressemblent à ceux de la pandémie ?
C'est moins important que la pandémie, et que la crise de 2008-2009. C'est un recul important, mais encore une fois, on a des incertitudes énormes. Donc c'est plutôt des ordres de grandeur sur ce qui pourrait se passer. Avant l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, les prévisions à c'étaient 3% de croissance du commerce international. Donc on est sur un retrait assez important. Après, elles vont être mises à remise à jour. C'est un exercice difficile, il faut le faire. C'est un peu héroïque de faire cet exercice aujourd'hui pour l'ensemble de l'année. Mais voilà, c'est donner une perspective sur l'importance quand même de ce recul et cette rupture au niveau international.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.