Pâques : "Il y a fort à craindre que les enfants français, à 90%, trouvent dans le jardin des chocolats fabriqués par d'autres enfants", alerte le directeur de Max Havelaar France

Qu'y a-t-il derrière le chocolat de Pâques ? Blaise Desbordes, le directeur général de l'ONG Max Havelaar France, appelle à chercher dans les rayons les marques associées au logo équitable, qui s'engagent à payer les producteurs au juste prix.
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 9min
Blaise Desbordes, directeur général de l'ONG Max Havelaar France (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Blaise Desbordes, directeur général de l'ONG Max Havelaar France (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"Il n'y a pas un parent au monde qui a envie que son enfant travaille dans les champs au lieu d'aller à l'école. Personne. Ils le font parce qu'ils sont contraints, plaide Blaise Desbordes, le directeur général de l'ONG Max Havelaar France. Parce que depuis des décennies, nous maltraitons les hommes et les femmes du cacao en essayant d'économiser quelques centimes, alors qu'il est tout à fait possible de leur payer les fèves de cacao à un prix juste."

Blaise Desbordes a co-publié une étude qui révèle que 13 filières d'aliments importées en France - dont le cacao - sont "à l'origine de nombreuses violations des droits humains et d'inégalités sociales persistantes", mais aussi "d'une forte pression sur les écosystèmes". En payant "beaucoup trop peu une fève de cacao, vous obligez le paysan à déforester pour qu'il puisse augmenter le rendement de sa parcelle", déplore le directeur de l'association promulguant le commerce équitable.

Franceinfo : Le cours du cacao était à moins de 3 000 dollars la tonne, il y a deux ans. On est arrivé à plus de 12 000 dollars, et aujourd'hui ?

Blaise Desbordes : Il y a eu deux pics à 12 000 dollars en 2024 et là, on est retombé autour de 8 000.

Les cours bondissent, c'est une chose, mais les deux plus gros producteurs de cacao que sont la Côte-d'Ivoire et le Ghana en profitent-ils ?

Non, ça ne ruisselle pas vraiment jusqu'aux producteurs. Pour une raison simple, c'est que le prix dont on vous parle, c'est un prix boursier. Ce n'est pas le prix acheté aux producteurs. Le prix boursier, c'est le prix des contrats financiarisés sur les marchés financiers à New York, à Londres. Et les marchés financiers, c'est un des drames de l'industrie du cacao, surréagissent. L'année dernière, on a eu une chute brutale de production en Côte-d'Ivoire et au Ghana, or ce sont les deux géants de la production mondiale de cacao. Quand la Côte-d'Ivoire "tousse", c'est l'ensemble de l'industrie du cacao qui s'enrhume. Et c'est ça qu'on vit aujourd'hui. Alors la vraie question, c'est pourquoi la production a chuté ? Elle a chuté depuis plusieurs années jusqu'à des sommets de moins 30, moins 20%, parce que nous maltraitons le cacao. Nous maltraitons les hommes et les femmes du cacao, et les conditions naturelles du cacao. Là-dessus vient le changement climatique, les ravageurs, les aléas de sécheresse. Et vous avez cette chute de production. Et quand il y a moins de cacao sur le marché, bien entendu, les prix montent.

La demande augmente-t-elle ?

Elle a plutôt globalement augmenté ces dix dernières années. Et surtout, la valorisation du cacao explose. Aujourd'hui, ce sont des dizaines de milliards de dollars dans nos rayons. Alors que tout au début de la chaîne, chez les producteurs, c'est bien sûr la portion congrue.

"On estime à peu près à entre 7% et 10% maximum la part qui leur revient quand vous achetez un œuf de Pâques ou une tablette de chocolat."

Blaise Desbordes, directeur général de l'ONG Max Havelaar France

à franceinfo

Que pouvez-vous faire pour les aider, ces producteurs ?

Notre ONG, Max Havelaar, a trouvé un moyen assez astucieux : convier les consommateurs à l'action. Nous avons créé un label sur environ 6 000 produits en France pour attirer l'attention des consommateurs et leur garantir qu'il y a un prix minimum d'achat qui permet à ces millions de cacaoculteurs, extrêmement pauvres, de survivre et d'avoir un prix rémunérateur. Et en plus de ce prix minimum, ils ont une prime de développement social qui leur permet justement d'investir. Quand vous pouvez investir dans votre exploitation, vous plantez des jeunes cacaoyers, vous pouvez faire du compost naturel, des bio-intrants, etc. Et vous cassez le cercle vicieux du cacao non durable, du cacao qui tache.

Arrivez-vous à chiffrer le désir des Français d'acheter du chocolat équitable ?

L'intention est très bien documentée. Elle est très élevée, au-dessus de 60%. Et même dans les catégories socioprofessionnelles les moins riches de France, il y a cette intention. Ils savent que, derrière le chocolat, il y a un producteur qui a besoin d'un prix correct, notamment parce qu'ils connaissent la situation de certains producteurs français dans le lait ou dans la viande. On a créé le smic pour les salariés, pourquoi on n'a pas de smic pour les paysans ? Eux, ils ont le droit de vendre en dessous de leur coût de production, c'est assez indigne. Donc oui, la tension est forte. Après, la possibilité de passer à l'acte, elle dépend des marques. Et nous, nous travaillons avec des dizaines d'entreprises en France en leur demandant de rendre accessible ce cacao. Et je peux vous dire que c'est possible. Il y a sur le marché des tablettes soit de très bonne qualité, soit de qualité moyenne à des prix accessibles. Il faut juste discriminer et chercher un peu.

Qui sont les bons élèves ?

Ceux qu'on aime beaucoup et qui font un travail incroyable, ce sont les PME françaises.

"On travaille avec une cinquantaine de chocolatiers très méritants, comme Bovetti ou Sunshine."

Blaise Desbordes

à franceinfo

Je peux citer quelques PME régionales en Dordogne, vous avez Bovetti, en Bretagne, vous avez Sunshine, vous avez Saveurs et Nature qui fabrique des produits pour Pâques. Tous ces entrepreneurs engagés ont fait le choix de payer ce prix minimum. Ils sont courageux, donc on invite bien sûr les consommateurs à chercher le label et à chercher ces marques. Vous avez aussi des distributeurs qui essayent de faire des efforts, et d'autres qui au contraire sont à des prix plus élevés.

Je lisais une de vos déclarations : 95% des chocolats de Pâques n'offrent aucune garantie contre le travail des enfants.

Il y a fort à craindre qu'après-demain, les enfants français, à 90%, trouvent des chocolats dans le jardin ou dans la maison, qui sont fabriqués par d'autres enfants. À l'autre bout de la chaîne, notamment en Afrique de l'Ouest, on estime qu'il y a presque 2 millions d'enfants qui sont plus ou moins forcés de travailler pour faire survivre la famille. Il n'y a pas un parent au monde qui a envie que son enfant travaille dans les champs au lieu d'aller à l'école. Personne. Mais ils le font parce qu'ils sont contraints. Parce que, comme je vous le disais depuis des décennies, nous-mêmes traitons les hommes et les femmes du cacao en essayant d'économiser quelques centimes, alors qu'il est tout à fait possible de leur payer les fèves de cacao à un prix juste.

Que faut-il faire alors, selon vous ? Quelle est l'urgence ?

Il faut que le gouvernement français ait le courage, avec les instituts statistiques, et pourquoi pas avec l'ONU, de publier ce que c'est qu'un prix digne.

"Le jour où, dans la transparence d'Internet, on verra ce que c'est qu'un prix juste, ce sera beaucoup plus difficile pour certains traders, pour certains spéculateurs, de négocier à des prix si bas et de ruiner les paysans du cacao."

Blaise Desbordes

à franceinfo

Donc la transparence, ça peut beaucoup faire. Et puis bien sûr, l'engagement des consommateurs, l'engagement des marques. Pour nous tous, ce n'est pas si difficile que ça de consommer un peu moins et un peu mieux. On sait qu'aujourd'hui c'est ça, l'actualité de notre caddie.

Il y a une nouvelle norme européenne "zéro déforestation" qui arrive. Quels sont les effets pour ces producteurs-là ?

Ça les oblige à géolocaliser leurs parcelles et à nous communiquer l'endroit où elles se trouvent, afin que des inspecteurs puissent vérifier que ces parcelles ne sont pas dans des zones déforestées. Parce que l'Europe, à partir du 1er janvier 2026, va interdire tout le cacao qui pourrait venir de zones où la forêt tropicale a été détruite. Mais l'hypocrisie qui est derrière cet enjeu, c'est que si vous continuez à payer beaucoup trop peu une fève de cacao, vous obligez le paysan à déforester. Pourquoi ? Parce que sur une vieille parcelle de 20 ans, vous avez un rendement de 400 kilos de cacao par hectare. Mais si vous défrichez la forêt tropicale, vous avez 800 ou 1000 kilos par hectare, donc on les oblige, finalement, à faire quelque chose qui est mauvais pour tout le monde, c'est-à-dire la déforestation mondiale. Sachons payer les quelques centimes de plus par kilo et ce genre de problème pourra être résolu et leurs denrées entreront dans l'Union européenne sans problème.

Que doit faire l'Europe ?

L'engagement, la transparence. Arrêter de penser colonial, arrêter de penser qu'on peut toujours avoir des ressources à bas prix, en étant indifférent au sort des populations. Ça va se retourner contre nous. La géopolitique nous montre aujourd'hui que nous ne pouvons pas déstabiliser des territoires entiers pour gagner encore une fois quelques dollars.

"Pour quelques dollars de plus, nous pouvons avoir de la stabilité, des gens qui vivent de leur travail, des bons produits, une meilleure qualité aussi pour l'environnement."

Blaise Desbordes

à franceinfo

Parce que quand vous entrez dans une démarche de qualité, vous faites attention. Il y a moins de pesticides, moins d'engrais. Tout ça, ce sont des cercles vertueux qu'on peut vraiment enclencher. Nous les consommateurs, mais nous aussi la société civile. Je ne sais pas s'il faut attendre tout des gouvernements. Ils ont malheureusement montré quand même une certaine impuissance et ces dernières années.

Un appel aux consommateurs, donc.

Absolument. On a besoin aujourd'hui de consommateurs qui ne sont pas des automates et qui vont aller chercher des signes de qualité et des labels. Et bien sûr, le commerce équitable, c'est lui qui plante les arbres, c'est lui qui donne la capacité de vivre aux producteurs. Donc choisissez-le. Il ne pèse que 5% aujourd'hui, donc on a de la marge dans le chocolat français.

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