Connaissance des questions, recherche de la punchline... Comment est réellement préparée une interview politique ?
/2023/07/05/64a55fd777de4_placeholder-36b69ec8.png)
Pour sauvegarder cet article, connectez-vous ou créez un compte monfranceinfo
Sans paiement. Sans abonnement.
franceinfo : Comment préparez-vous les interviews politiques ? Donnez-vous les questions à l’avance à la personne interrogée ?
Nathalie Saint-Cricq : Pas du tout, on ne donne jamais les questions à l’avance. Ce que l’on peut faire au mieux, pour le bon fonctionnement de l’interview, c’est donner les thèmes (on va parler d’immigration, d’écologie…) en sachant qu’on ne peut pas tout balayer. Donc il est évident que je ne vais pas donner mes questions pour leur permettre de préparer...
Pour le reste, j’ai un fond de connaissance de l’actualité, et je tente de réécouter tout ce qui a pu être dit récemment par l’invité. Si c’est François Bayrou, [cela veut dire] voir toutes ses déclarations précédentes, de manière à voir ce qu’il manque et à faire avancer les choses. Le but n’est pas de faire un numéro d’intervieweuse, pour que le politique réponde toujours la même chose et que je sois contente de mes questions… Le but en général est de faire avancer l’interview, éventuellement de mettre en contradiction, de faire préciser quelque chose : "Je ne comprends pas, vous avez déclaré telle chose à l’Assemblée, et puis vous avez déclaré ceci là, quelle est votre vraie position ?" Ou alors de faire réagir : "Bruno Retailleau a dit quelque chose, qu’en pensez-vous ?", "Olivier Faure a dit cela, qu’est-ce que vous avez à répondre ?"
Donc la chose est assez simple : il faut d’abord des questions courtes – une interview passe vite et on est là pour écouter le politique, pas le journaliste. Les questions se doivent évidemment d’être totalement libres. Ensuite, il ne faut pas regarder ses notes pour préparer la prochaine question. Il faut écouter ce que la personne a à dire pour pouvoir rebondir tout de suite et dire "attendez, je n’ai pas compris, ce n’est pas clair".
Au fond, il faut être interactif, c’est un travail normal comme dans une conversation, où tant qu’on n’a pas la réponse que l’on veut, on continue. Sans être agressif ! Et en lui laissant éventuellement le temps de s’exprimer, à condition que cela ne dure pas six heures.
Donc le but n’est pas de laisser la figure politique dérouler ses éléments de langage…
Non. Ses éléments de langage, qu’il les déroule, si cela répond à la question. Mais il ne faut pas confondre éléments de langage et langue de bois. Un élément de langage, c’est quelque chose qui peut être une formule assez courte, capable de répondre à une question. Prenez le "travailler plus pour gagner plus" de Nicolas Sarkozy. C’était un élément de langage, mais qui résumait très rapidement, quasiment comme dans une bonne publicité, une position politique.
Après, si la personne que l’on interviewe répète un numéro de langue de bois qui ne répond pas à la question, on lui rappelle justement que ce n’est pas de la publicité, mais une interview, avec des questions. Si l’on n’a pas les réponses, on recommence. Et quand on a l’impression d’avoir entendu cinquante mille fois la même phrase, on leur dit qu’on connaît leur réponse. C’est d’ailleurs la marque d’une bonne interview de commencer par l’élément de langage : "Je sais que vous allez me répondre que… mais est-ce que…" D’où l’utilité de prendre en compte les interviews qu’ils ont déjà faites, pour savoir ce qu’ils vont nous servir.
Si l’on entend une espèce de ronronnement, on peut très bien, pour gagner du temps, relancer la personne : "Vous dites que la fin de vie est un sujet trop privé pour qu’on puisse légiférer… Mais par-delà ces phrases que l’on entend depuis trois mois, qu’allez-vous faire, y aura-t-il un texte de loi ?" Je pense que c’est comme cela qu’il faut prendre les choses.
Au fond, est-ce que le but est de provoquer la punchline, de faire sortir la phrase intéressante ?
La phrase intéressante, c’est celle qui veut dire quelque chose. Parmi les punchlines, il y a le meilleur et le pire… Certaines ne veulent rien dire quand on les regarde de près. On dirait de la publicité – "quand c’est trop c’est Tropico", ça ne veut rien dire mais ça marque les esprits. En revanche, le mérite d’une bonne punchline, c’est de résumer une position. Dire "l’immigration n’est pas une chance pour la France", c’est effectivement une punchline marquante, avec un sens puissant (qu’on soit d’accord ou non).
Ces punchlines sont intéressantes pour le politique… pas nécessairement pour le journaliste. Ce qui nous intéresse, c’est d’avoir une réponse sur quelque chose de précis. Est-ce que le déficit sera de 5%, 6%… Que la réponse soit bien tournée, pourquoi pas, mais le journaliste, lui, cherche de l’info, et l’interview est avant tout un moyen parmi d’autres d’en trouver, en confrontant l’homme [ou la femme] politique à ses déclarations précédentes, ou à celles des autres.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.