Comment "Ne Zha 2" ranime les desseins de la Chine sur le cinéma mondial
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Surtout, il faudra bien penser à prononcer "Ne dja" au guichet de votre cinéma lors de l'achat de votre billet pour le blockbuster des vacances de Pâques. Le film d'animation chinois Ne Zha 2 débarque dans les salles obscures françaises mercredi 23 avril, accompagné d'une réputation flatteuse et d'un tsunami de billets verts qui en ont fait un des films les plus rentables de tous les temps, devant les Stars Wars ou Vice-Versa 2, avec plus de deux milliards de dollars de recettes au dernier pointage.
Le premier volet, qui n'est pas sorti en France, raconte les aventures d'un petit garçon (le fameux Ne Zha) aux pouvoirs magiques qui lui sont bien utiles pour castagner du dragon à tour de bras. L'intrigue peut paraître innocente au premier abord, mais "a un petit goût de métaphore nationaliste qui plaît beaucoup en Chine", appuie auprès de franceinfo Luisa Prudentino, sinologue et spécialiste du cinéma chinois. C'est que le film, inspiré d'un conte du XVIe siècle, montre le jeune héros protéger une population innocente de menaces venues de l'étranger, au-dessus de la mer de Chine.
Ne Zha 2, c'est la quintessence du blockbuster à la chinoise. Un sujet puisant dans l'histoire ou la tradition locale, mâtiné de thèmes universels qui peuvent parler à un public international plus large. Une réalisation technique irréprochable, avec pas moins de 138 studios d'animation qui ont uni leurs efforts pour un rendu proche de la perfection made in Chinawood, la gigantesque cité du cinéma érigée en 2019 à Qingdao.
D'ailleurs, à Chinawood, il y a aussi de grandes lettres blanches plantées dans une colline surplombant les studios qui proclament qu'on se trouve "dans la métropole du cinéma de l'Est". Différence de taille, elles comptent quelques centimètres de plus qu'Hollywood. Cerise sur le gâteau, le Parti communiste chinois, dont le leader, Xi Jinping, a érigé le cinéma en priorité nationale, donne un petit coup de pouce. Cela peut aller d'un passe-droit face au comité de censure – "ce qui rassure les financiers, qui savent que le film va sortir en salles sans encombre", souligne Luisa Prudentino – à la mobilisation générale des salles chinoises pour proposer le film à des prix attractifs et gonfler le box-office. Ne Zha 2 avait ainsi cumulé plus de 300 millions d'entrées début avril rien que dans l'Empire du milieu.
Scorsese, Gere ou Cruise dans la ligne de mire
Ce blockbuster d'animation constitue la dernière étape de la stratégie chinoise pour conquérir les marchés et les esprits avec son industrie cinématographique. Qu'elle semble loin l'époque où Disney essayait de se rabibocher avec la Chine après avoir validé le Kundun de Martin Scorsese, mettant en scène les jeunes années du dalaï-lama au moment de l'invasion du Tibet par la Chine. Le studio, qui avait surtout peur que son usine à peluches Mickey prenne la mouche, avait dépêché l'ancien conseiller aux Affaires étrangères de Richard Nixon, Henry Kissinger, pour arrondir les angles, décrivait le magazine Time en 1997.
Aujourd'hui, la Chine fait tellement peur à Hollywood que le plus grand avocat de la cause tibétaine en son sein, Richard Gere, n'a plus tourné avec un gros studio depuis 2008. Un cadre de Warner Bros a glissé au journaliste Erich Schwartzel pour son livre Red Carpet : "Avec lui, la règle est devenue : 'Si on peut prendre quelqu'un d'autre à sa place, on prend quelqu'un d'autre à sa place'". Même le blouson de Tom Cruise dans la suite de Top Gun a pris une dimension politique. Dans le premier volet, sorti en 1986, le dos du blouson de cuir de "Maverick" arbore des drapeaux japonais et taïwanais. Rien de tout ça dans le premier poster de la suite, dévoilé en 2019. "Les Chinois n'ont même pas eu à insister. La décision a été prise à Los Angeles", souligne Erich Schwartzel. La chose s'ébruite, et devant l'ampleur du scandale, les drapeaux sont réintégrés à l'aide d'images de synthèse. En conséquence, la compagnie chinoise Tencent se retire du financement du film, comme le relevait le Wall Street Journal.
Nombre de sociétés chinoises ont pris des parts dans les grands studios hollywoodiens, qui ne peuvent plus faire sans leur immense marché pour rentrer dans leurs frais quand il s'agit de penser un blockbuster mondial au budget à neuf chiffres. Le marché américain – qui représente grosso modo un tiers des recettes d'un film à retentissement mondial – s'effrite, quand la Chine ouvre 18 salles de cinéma par jour, pointent Les Echos.
Donc, quand c'est possible, Shanghai remplace New York comme décor. Depuis le début du XXIe siècle, c'est l'embouteillage dans la deuxième ville de Chine : Mission Impossible 3, Transformers 2, Skyfall... Et dans le script, la Chine a le beau rôle. Dans Seul sur Mars, c'est l'équivalent chinois de la Nasa qui sauve le pauvre Matt Damon coincé sur la planète rouge. Parfois, c'est carrément l'intrigue qui est modifiée pour plaire aux dignitaires du parti. Dans la version chinoise d'Iron Man 3 figure une scène de trois minutes où un chirurgien joué par Wang Xueqi sauve la vie de Tony Stark.
Une autre scène coupée dans la version occidentale met en lumière l'actrice Fan Bingbing, un temps étoile montante du cinéma chinois avant de disparaître de la circulation sur oukase du régime. Le propos du film de guerre Red Dawn, avec Chris Hemsworth en tête d'affiche, a même été modifié pour ne pas froisser Pékin. Au départ, le film mettait en scène l'invasion des Etats-Unis par la Chine, avant que le pays agresseur soit changé en catastrophe par la Corée du Nord – bouc-émissaire universel commode, pourtant proche de la Chine – en post-production.
L'Empire (du milieu) contre-attaque
En face, les productions chinoises ne se gênent plus pour jouer la carte du nationalisme exacerbé. Tout a commencé en l'an 2000 lors du visionnage par la commission de censure du film The Patriot, de Mel Gibson, mettant en scène un héros de la guerre d'indépendance face aux Anglais. Le film est retoqué par les commissaires, qui demandent aux représentants du studio Sony Pictures s'ils peuvent garder la pellicule, décrit le livre Red Carpet. "Bien sûr", répond un dirigeant du studio. "Mais pourquoi ?" "Nous voulons que les autres membres du bureau puissent le voir, pour comprendre comment on fait un bon film de propagande." Avec un succès certain sur le marché intérieur, moins hors des frontières.
"Les dernières superproductions chinoises n'étaient pas vraiment exportables, car portées par des thèmes trop chinois, souligne la sinologue Luisa Prudentino. Ça ne suffit pas de mettre Matt Damon dans La Grande Muraille [en 2016] pour captiver le public occidental." De fait, le film à grand spectacle porté par l'interprète de Jason Bourne fera un flop mondial. Idem pour Creation of the Gods, carton au box-office intérieur en 2023, mais boudé en salles (à peine 34 000 entrées en France).
Le message est beaucoup plus clair dans les films La Bataille du lac Changjin, qui racontent la première confrontation militaire entre les soldats américains et l'armée des volontaires du peuple chinois lors de la guerre de Corée – et la victoire de ces derniers. Le commanditaire du film ? Le Parti communiste chinois, qui s'est offert ce cadeau pour souffler sa centième bougie, en 2021. Le réalisateur, Zhang Yimou, acclamé par la critique pour Epouse et concubines et Héros, s'est compromis depuis une dizaine d'années dans des actioners nationalistes un peu bas du front. A l'occasion de la sortie de Sharpshooter (2022), l'histoire d'un sniper qui a occis 214 soldats américains en un mois lors de la guerre de Corée, il livrait sa vision très politique de l'histoire : "Le film a pour but de faire comprendre au public que les Américains sont forts, mais pas imbattables, faits historiques à l'appui."
Même les gros succès de Chinawood qui n'ont pas l'air de causer politique y vont de leur petite pique. Comme The Wandering Earth, sorte de Independence Day chinois (qui est, comme le film de Roland Emmerich de 1996, sorti le jour de la fête nationale chinoise) : les taïkonautes y sauvent le monde en parvenant à éloigner la Terre du Soleil, qui menace d'exploser. Le film est sorti en 2019, alors que la Nasa n'était pas encore dans le collimateur d'Elon Musk et son comité d'efficacité gouvernementale, mais quand même aux abonnés absents. Un plan sur un reportage fictif de la chaîne NBC et son bandeau au bas de l'écran montre au spectateur les raisons de l'inaction américaine : "Une grève du personnel paralyse la construction de quatre vaisseaux dans l'Etat de New York." Moralité : quand il s'agit de sauver la Terre, la démocratie n'est pas forcément la solution la plus efficace...
Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire, la propagande chinoise essaye de ne pas y aller avec de trop gros sabots. Le succès de Wolf Warrior 2 – ce qui se rapproche le plus de Rambo pour l'Empire du milieu – a causé un certain embarras en haut lieu. Dans le film, un membre des forces spéciales chinoises libère, à grands coups de tatane dans la figure, les populations opprimées d'un pays d'Afrique sur le point de passer sous la coupe de rebelles. Les 160 millions d'entrées du film en 2017 n'entraîneront curieusement pas de nouvelle suite. Et pour cause : le bureau du film a rejeté le scénario du troisième volet à plusieurs reprises. Selon des sources gouvernementales citées dans le livre Red Carpet, la Chine y était présentée comme un protagoniste trop agressif des relations internationales. Un écueil qu'a su éviter Ne Zha 2.
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