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Canada : le complotisme à l'heure des élections

À la fin du mois, les Canadiens se rendront aux urnes afin de voter aux élections fédérales anticipées afin d'élire les 343 députés de la 45e législature de la Chambre des communes du Canada. Une séquence électorale sous tension, la complosphère n’étant jamais très loin des débats.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Mark Carney, l'actuel chef du gouvernement libéral canadien, et son plus proche rival, le conservateur Pierre Poilievre. (AFP)
Mark Carney, l'actuel chef du gouvernement libéral canadien, et son plus proche rival, le conservateur Pierre Poilievre. (AFP)

Le 28 avril, c’est jour de vote pour les Canadiens. Ils devront voter aux élections fédérales anticipées afin d'élire les 343 députés de la 45e législature de la Chambre des communes du Canada. Dans un contexte politique tendu marqué par la démission de Justin Trudeau, la complosphère s'invite dans les débats, opposant notamment Mark Carney, l'actuel chef du gouvernement libéral, à son principal rival, le conservateur Pierre Poilièvre.

La campagne électorale canadienne est marquée par la présence de théories conspirationnistes qui ne sont jamais loin des discussions. La vidéo du complotiste américain Alex Jones apportant son soutien à Pierre Poilièvre, en avril 2024, a suscité une vive réaction au Canada. Justin Trudeau avait d'ailleurs réclamé une condamnation de la part de Pierre Poilièvre, surnommé le "Trump canadien". Selon Rudy Reichstadt, ce n'est pas sans raison, car le candidat a adopté une rhétorique populiste très forte, s'inspirant de Donald Trump en critiquant les élites et en défendant la liberté individuelle contre les abus de l'État. Il avait également soutenu en 2022 le "convoi des libertés", un mouvement anti mesures sanitaires où se mêlaient antivax, complotistes et une partie de l'extrême droite canadienne.

Le directeur de Conspiracy Watch note également que Pierre Poilièvre a donné des signaux qui résonnent avec les obsessions de la complosphère, notamment en critiquant le Forum économique mondial de Davos. Bien que le Parti conservateur ne soit pas globalement complotiste, il compte des franges et des élus ayant tenu des propos douteux pendant la pandémie, à l'image du candidat Sylvain Goulet qui croit au "Great Reset" comme projet d'instauration du communisme au Canada et qui est apparu sur la chaîne YouTube complotiste Theovox.

L'impact des théories complotistes et leur importation

D'autres figures politiques comme Maxime Bernier, leader du Parti populaire du Canada, sont également pointées du doigt pour leurs liens avec la complosphère. Interviewé par Tucker Carlson, Maxime Bernier a évoqué une théorie du complot visant Justin Trudeau, suggérant qu'un test ADN serait nécessaire pour déterminer s'il est le fils de Fidel Castro. Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l'université de Paris, qualifie Maxime Bernier de populiste d'extrême droite dont le parti, bien que relativement marginal, a obtenu 5% des voix en 2021. Il explique que ce candidat utilise une rhétorique populiste classique, dénonçant les élites, rejetant le politiquement correct et étant hostile aux médias traditionnels. Rudy Reichstadt met en lumière la reprise de cette rumeur par Donald Trump et la logique fallacieuse selon laquelle si une idée circule sur les réseaux sociaux, elle doit être vraie. Il rappelle que le Parti populaire du Canada a accueilli de nombreuses figures complotistes, notamment durant la pandémie de Covid-19.

Les théories du complot ont un impact non négligeable sur la population canadienne. Un sondage de l'Institut Léger de novembre 2023 révèle que les partisans du Parti conservateur de Pierre Poilièvre et du Parti populaire de Maxime Bernier sont plus perméables aux théories complotistes que les autres. Cependant, le complotisme semble moins virulent au Canada qu'aux États-Unis. Alexis de Lancer, animateur de l'émission Les décrypteurs sur Radio-Canada, établit un parallèle entre "le convoi des libertés" au Canada et le mouvement des "gilets jaunes" en France. Au Canada, parmi les figures présentes, on trouvait des militants QAnon, des représentants du groupe néofasciste Diagolon et des identitaires de Canada First.

L'influence américaine

L'influence des États-Unis sur le complotisme au Canada est considérable, notamment via de grandes figures de la "complosphère" américaine comme Elon Musk. La mouvance QAnon s'est également importée des États-Unis au Canada, avec un rôle clé joué par Alexis Cossette Trudel, un vidéaste complotiste québécois.

Certains médias canadiens, comme Rebel News, ont servi de vitrine à des personnalités complotistes internationales. Ce média d'extrême droite a joué un rôle notable durant la séquence électorale, ses journalistes dominant parfois les sessions de questions-réponses avec les chefs de parti. Rebel News a servi de "pépinière" pour de nombreuses figures complotistes canadiennes et internationales, créant des passerelles entre les écosystèmes complotistes canadien, américain et européen.

Face à cette situation, la question d'un risque de complotisme électoral au Canada se pose légitimement, compte tenu de ce qui s'est passé aux États-Unis. "Je ne crois pas que le conspirationnisme soit aussi présent qu'ailleurs dans la bouche des politiques. Il y a eu donc des allusions au forum économique mondial, des allusions à certains éléments récurrents dans les discours conspirationnistes, mais jamais de façon pleine et assumée au sein des formations politiques qui ont une chance réelle d'aspirer au pouvoir", tempère cependant Alexis de Lancer. Bien que le Canada semble moins perméable au complotisme que son voisin du sud, il joue un rôle de plaque tournante internationale, notamment entre les univers anglophone et francophone.


"Canada : le complotisme à l'heure des élections", c'est le 87e épisode de Complorama avec Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, et Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l'université Paris-Cité, spécialiste des cultures numériques et membre de l'observatoire du conspirationnisme. Un podcast à retrouver sur le site de franceinfo, l'application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcasts, Podcast Addict, Spotify, ou Deezer.

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