Atomes crochus et "fascination réciproque" : pourquoi Nayib Bukele, président du Salvador, est le supporter numéro un de Donald Trump
/2021/12/14/61b8b98d7c7ee_fabien-magnenou.png)
/2025/04/13/000-36ty2b8-1-67fba01b80958863462747.jpg)
Pour sauvegarder cet article, connectez-vous ou créez un compte monfranceinfo
Sans paiement. Sans abonnement.
Un "dictateur cool" en visite à la Maison Blanche. Le président du Salvador, Nayib Bukele, est connu pour ses méthodes expéditives contre les gangs. Il débarque à Washington en territoire ami, lundi 14 avril, pour discuter avec Donald Trump de coopération en matière de lutte contre l'immigration illégale. Le président du petit Etat d'Amérique centrale a promis de venir avec "plusieurs canettes de Coca light", la boisson favorite de son homologue. Il faut dire que les relations sont au beau fixe entre les deux hommes. Nayib Bukele a récemment accepté que 250 personnes expulsées des Etats-Unis soient transférées dans sa prison géante, le Cecot, un établissement ultrasécurisé bâti pour les besoins de la lutte contre les gangs.
Début février, le président salvadorien avait accueilli le secrétaire d'Etat américain, Marco Rubio, sur les rives du lac de Coatepeque, dans la résidence privée du dirigeant salvadorien. Les deux hommes avaient pris la pose tout sourire, après des mois de rapprochement avec les républicains américains. Le transfert s'est déroulé mi-mars, accompagné d'une campagne de communication orchestrée de concert par les deux Etats. Kristi Noem, secrétaire à la Sécurité intérieure, s'est rendue sur place, prenant la pose devant de grandes cellules où s'entassent des hommes tatoués, la plupart vénézuéliens, accusés par l'administration Trump d'être membres de la redoutable organisation criminelle Tren de Aragua.
/2025/04/13/000-36x46km-67fb741cbf171751342235.jpg)
Leur avenir dépend désormais du "président B. et de son gouvernement", s'est félicité Donald Trump. "Nayib Bukele lui a offert sur un plateau une solution pour déplacer des gens dont le président américain ne voulait pas", souligne auprès de franceinfo le sociologue Thierry Maire, spécialiste de l'Amérique centrale et membre du Centre Maurice-Halbwachs. Mais cela tombe également à pic pour le dirigeant salvadorien. "Le Cecot, prison géante d'un capacité évaluée entre 70 000 et 80 000 places, n'est pas plein", relève le chercheur, contrairement aux autres prisons du pays, surpeuplées. Et les 6 millions de dollars versés par les Etats-Unis à l'occasion de ce transfert sont un ballon d'air frais pour un gouvernement "aux abois financièrement", alors que le dirigeant salvadorien avait promis que cette prison géante ne coûterait rien au pays.
"Un outsider qui a surgi dans le jeu politique"
Un renvoi d'ascenseur pour le dirigeant du Salvador, qui a toujours apporté un soutien appuyé au candidat républicain. "Donald Trump a largement soutenu la politique de sévérité de Nayib Bukele contre la criminalité, là où l'Union européenne critiquait" les atteintes au droit, souligne Thierry Maire. "Il existe une espèce de fascination réciproque entre les deux hommes." Le président américain est sensible à ce profil, "un outsider qui a surgi dans le jeu politique de manière un petit peu impromptue, qui se fait élire, puis qui n'en fait qu'à sa tête", décrit le chercheur.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2019, Nayib Bukele a pacifié son pays de six millions d'habitants en proie à la violence des mareros, les membres de gangs, comme le puissant MS-13. En se passant des mandats et des procédures normalement requis, il a emprisonné près de 2% de la population et réduit le taux d'homicide de plus de 6 500 par an à seulement 114, selon les chiffres officiels.
Les résultats sont indéniables, même si les chiffres sont parfois contestés, comme le souligne la revue Foreign Policy. Les victimes de gangs découvertes dans des fosses communes ont été retranchées de cette catégorie statistique, tout comme les décès enregistrés lors d'affrontements avec les forces de l'ordre. Des méthodes choc rendues possibles par un régime d'exception introduit en 2022, toujours en vigueur aujourd'hui.
"Comme Donald Trump, Nayib Bukele estime que les élus, les partis, les juges sont des vendus."
Thierry Maire, chercheur au Centre Maurice-Halbwachsà franceinfo
"En 2021, notamment, le dirigeant salvadorien a pris un décret pour contraindre un tiers des magistrats à partir à la retraite, au prétexte qu'ils n'avaient pas assez lutté contre la corruption et la violence", relève encore Thierry Maire. Outre leur détestation commune d'une supposée caste politique, les deux chefs d'Etat partagent aussi un goût pour "une certaine forme d'autoritarisme" et privilégient l'expression directe, avec des messages postés en continu sur les réseaux sociaux. Quitte, pour le dirigeant salvadorien, à frôler l'incorrection, quand il prend un selfie depuis la tribune de l'ONU en 2019.
Ovationné chez les ultraconservateurs
Nayib Bukele, figure populiste, n'a guère développé de théorie politique, sinon le rejet des corps intermédiaires et des contre-pouvoirs judiciaires. Mais son combat radical contre le gangs, et ses diatribes contre la corruption, lui ont valu une ovation en février à la dernière Conférence d'action politique conservatrice (CPAC), le grand raout ultraconservateur organisé chaque année. Il y avait notamment croisé le milliardaire Elon Musk. Quatre mois plus tard, Donald Trump avait envoyé son fils dans la capitale, San Salvador, pour assister à la prestation de serment du président salvadorien réélu.
/2025/04/13/063-2031460438-67fb754974c4f117202134.jpg)
Pourtant, rien ne prédestinait Nayib Bukele à côtoyer le ban et l'arrière-ban de la droite illibérale américaine. Armando Bukele, le père du dirigeant – un homme d'affaires d'origine palestinienne – était l'un des soutiens financiers du FMLN, parti politique issu de la guérilla marxiste. Sous ces couleurs, le fils a d'abord été élu maire dans une banlieue aisée, avant de décrocher la capitale. Exclu de sa formation, sur fond de compétition interne en vue de l'investiture à la présidentielle, le jeune homme a rejoint la formation de centre-droit Gana pour devenir président une première fois en 2019.
Alors qu'il adressait encore, quatre ans plus tôt, des messages de soutien aux communautés LGBT, Nayib Bukele a commencé a démanteler, durant son premier mandat, la direction de la diversité sexuelle mis en place dans le pays.
La question des migrants, centrale pour le Salvador
Cette évolution "s'inscrit dans la montée en puissance des évangéliques, qui globalement, affichent des postures sociales extrêmement conservatrices", observe Thierry Maire, alors même que l'église catholique a perdu du terrain plus tardivement au Salvador que dans les autres pays d'Amérique centrale. "Ce type de discours très moralisateur enchante la droite religieuse américaine, poursuit le chercheur. Ce qui permet de faire plaisir à une partie de son électorat, mais également aux relais médiatiques de la droite religieuse américaine, indispensables aujourd'hui pour capter l'attention des républicains, et donc de Donald Trump."
"Nayib Bukele trouve une légitimation auprès de Donald Trump, président de la plus grande économie du monde. A l'inverse, Donald Trump peut utiliser l'image de Nayib Bukele pour expliquer que sa politique peut fonctionner partout."
Thierry Maire, chercheur au Centre Maurice-Halbwachsà franceinfo
Lors de son passage à Washington, Nayib Bukele sera-il pour autant en mesure de formuler des requêtes sur les droits de douane ? Le petit pays n'a pas échappé au relèvement des tarifs de 10%, imposé par la Maison Blanche au niveau mondial. "Il pourrait également tenter de convaincre Donald Trump de ne pas expulser les Salvadoriens, ou en tout cas le moins possible", car des retours massifs priveraient son pays d'une manne importante : ces 2,5 millions d'expatriés, qui envoient de l'argent à leurs proches, ont pesé pour 23% du PIB de leur pays d'origine en 2024, soit 8,5 milliards de dollars, d'après la Banque centrale du Salvador. Un deal sur des mini-centrales nucléaires avait également été évoqué lors de la visite de Marco Rubio au Salvador, "mais le pays n'a pas de main-d'œuvre qualifiée dans ce domaine".
Les deux dirigeants, en revanche, pourraient disserter des cryptomonnaies, un thème cher à leurs yeux. Le président américain a l'intention de créer un fonds souverain en monnaies virtuelles. Quant au Salvador, il était devenu en 2021 le premier pays du monde à adopter le bitcoin comme monnaie officielle, avant de devoir l'abandonner en décembre, en raison de difficultés économiques. "Nayib Bukele a toujours voulu transformer le pays en centre de minage, avec un projet de 'Bitcoin City', mais cela nécessite de produire une quantité d'énergie prodigieuse, explique Thierry Maire. Les discussions avec Donald Trump pourraient permettre de réactiver en partie ce volet de son programme économique, qui n'a jamais pu être mis en œuvre par manque de financements."
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.