Afflux de visiteurs, spéculations et vandalisme… Les expériences amères de propriétaires dont le domicile a été tagué par Banksy

Le street-artist britannique Banksy a parfois officié, par surprise, sur les murs de propriétés privées. Si ses œuvres sont estimées à plusieurs millions d'euros, les propriétaires des maisons taguées ont souvent été confrontés à de nombreuses déconvenues.
Article rédigé par franceinfo
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La mouette de Banksy sur la façade d'une propriété privée à Lowestoft, en 2021. (JUSTIN TALLIS / AFP)
La mouette de Banksy sur la façade d'une propriété privée à Lowestoft, en 2021. (JUSTIN TALLIS / AFP)

Le graffeur le plus connu du monde utilisera-t-il un jour votre domicile comme toile pour la création d'une de ses œuvres ? C'est arrivé, par surprise, à plusieurs propriétaires en Angleterre. On dit qu'ils ont été "banksyés". Si chaque tag de Banksy est coté à plusieurs millions d'euros, les conséquences ne sont pas toujours positives pour les habitants des biens concernés. De nombreux médias britanniques, comme la BBC, le Guardian et le Times, relatent leurs mésaventures.

Une mouette de six mètres de haut, semblant piocher des frites dans une immense benne disposée contre la façade… Voilà ce qu'ont découvert Garry et Gokean Coutts, en août 2021, sur la façade de leur maison de Lowestoft, dans l'est du Royaume-Uni. Une œuvre attribuée à Banksy et sa campagne "Great British Spraycation" entreprise après le premier confinement. "Au début c'était incroyable", témoigne Garry Coutts, couvreur à la retraite, dans les colonnes du Times. "Mais avec le temps, c'est devenu extrêmement stressant. Je ne suis pas sûr que Banksy se rende compte des conséquences imprévues pour les propriétaires."

Jusqu'à 45 000 euros d'entretien par an

Dans un premier temps, le couple propriétaire a été contraint de débourser une somme délirante pour protéger et entretenir l'œuvre. Jusqu'à 45 000 euros par an, rapporte le Times. "J'ai dû engager un veilleur de nuit pour le surveiller après que quelqu'un en a volé une partie et tenté de la vendre sur Facebook", raconte Monsieur Coutts.

"Des vandales ont été arrêtés avec une douzaine de pots de peinture blanche et allaient apparemment repeindre le tout."

Garry Coutts

au Times

Rapidement, des files d'attente se sont même formées autour de la maison pour que des amateurs de street-art et des curieux de passage viennent observer l'œuvre. Le couple a dû faire face à des visiteurs qui mettaient leurs enfants dans la benne au pied de l'œuvre pour photographier leurs enfants. "Les habitants de Lowestoft ont dit que ça appartenait à Lowestoft… Mais personne n'est venu dire : 'On va vous aider à le protéger', témoigne Garry Coutts. Ça n'appartient pas à la personne qui filme, ni à celle qui prend des photos avec ses enfants. C'est moi qui ai un problème !"

Les nuisances étaient devenues insupportables pour le couple, "un cauchemar". Alors après plusieurs années de dépenses pour la protéger et l'entretenir, en avril 2023, Garry et Gokean Coutts ont tout simplement décidé de la faire retirer. Une manœuvre qui leur a aussi demandé de débourser une certaine somme. Le couple a engagé une entreprise de construction pour renforcer le mur avec des couches de résine et d'acier avant d'utiliser une grue de plus de 12 mètres de haut pour le retirer d'un seul morceau. Coût total des travaux : 246 300 euros. Le montant a probablement été largement remboursé par la vente de l'œuvre.

À Margate, dans le comté du Kent, en février 2023, c'est une autre œuvre de Banksy qui a fleuri sur la façade d'une propriété privée : Valentine's Day Mascara. Une femme au foyer des années 50 affichant un œil au beurre noir semble enfermer, dans un congélateur bien réel et posé contre le mur, un homme dont les jambes sont peintes dans le prolongement du mur. Le dessin dénonce les violences conjugales.

L'oeuvre Valentine's Day Mascara de Banksy, dénonçant les violences conjugales, sur le mur d'une maision de Margate, février 2023. (GARETH FULLER / MAXPPP)
L'oeuvre Valentine's Day Mascara de Banksy, dénonçant les violences conjugales, sur le mur d'une maision de Margate, février 2023. (GARETH FULLER / MAXPPP)

La propriétaire de la maison, Sam a été immédiatement informée par son locataire et s'est chargée de contacter la mairie et une galerie d'art pour la conseiller. Elle est alors devenue gardienne du Valentine's Day Mascara, rapporte la BBC.

Une protection plastique et deux gardes sur place

Dès le premier jour de l'installation, le congélateur avait été enlevé par des agents de la ville, "pour des raisons de sécurité car il se trouvait sur un terrain public", indiquait le conseil du district. Le retrait avait déclenché la crispation des passants et riverains venus admirer l'œuvre, d'autant que le message de l'œuvre était brouillé.

Finalement, la municipalité a replacé le congélateur à sa place d'origine et la peinture a été protégée par une feuille en plastique et des gardes la surveillent. Les désagréments n'ont pas tardé à apparaître : brouhaha médiatique, conseil municipal pris au dépourvu et millions de spectateurs du monde entier. Quelques mois plus tard, l'œuvre a été déplacée dans un parc d'attractions de Margate, "ce qui permet à l'œuvre de rester dans la ville et d'être accessible à tous ceux qui veulent venir l'admirer", avait précisé le responsable du parc dans un communiqué. Les bénéfices perçus par l'exposition de l'œuvre ont été reversés à une association de lutte contre les violences conjugales.

"Un acheteur de Los Angeles voulait faire venir le mur entier en Californie"

À Bristol, dans le quartier d'Easton, les propriétaires d'une maison taguée se sont retrouvés dans une tourmente de spéculations. Ils tentaient de vendre leur maison affublée d'une fresque depuis 2003. Les potentiels acquéreurs refusaient de l'acheter, justement en raison de la présence du tag sur la façade. Les propriétaires ont finalement découvert dans un livre que la fresque de près de 10 mètres de long était l'œuvre de Banksy intitulée "Click ! Clack ! Booom".

"Le téléphone s'est mis à sonner jour et nuit. Un Australien m'en offrait 465 000 euros", témoigne au Guardian le propriétaire de la maison. "Un acheteur de Los Angeles voulait faire venir le mur entier en Californie – la maison se serait écroulée ! Quand la mairie a envoyé une équipe pour effacer le tag, les gens du coin sont devenus fous et les ont pourchassés dans la rue", poursuit l'homme.

Ensuite, lorsque l'information s'est ébruitée, les vandales ont fait leur œuvre : "quelqu'un s'est introduit par effraction pour tout casser et jeter des seaux de peinture rouge sur l'œuvre." Les graffeurs de Bristol s'en sont alors donné à cœur joie, au point que seules quelques traces du Banksy d'origine persistent. Finalement la maison s'est vendue au prix juste, environ 185 000 euros.

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